De la vallée de l’amour à la forêt de la mort, la continuité cinématographique selon Guillaume Nicloux, le réalisateur français entreprend cette marche à suivre comme l’exorcisation d’un rêve perturbant pour en retirer un scénario on ne peut plus étrange. Il s’épaule une nouvelle fois de Gérard Depardieu qui interprétera cet homme perdu dans les bois après une partie de chasse matinale avec son chien, son fusil et sa bouteille de Schweppes Agrumes, se retrouvant finalement seul avec rien d’autre que son mal de genoux et un t-shirt trempé de sueur, suffoquant, délirant et hurlant à qui veut l’entendre de lui venir en aide, chercher désespérément la sortie de ce labyrinthe, le temps s’écoule, les sentiers se ressemblent tous, chercher l'issue.
Nicloux semble proposer dès les premières secondes un film d’ambiance inquiétant, comme le laissait présager la bande annonce, le plan d’une route en clair obscur en guise d’introduction comme signe annonciateur d’un sombre mystère, puis le bruit d’un réveil, la grosse baleine Gégé se lève péniblement de son matelas, l’heure de la chasse. La mise en scène a pour objectif de nous faire ressentir le quotidien de ce type divorcé et solitaire, collectionnant les bibelots kitschs et remplissant sa feuille de mots-croisés entre deux bouts de pain offert à son chien Yoshi au petit déjeuner, mais cette apparente austérité se retrouve assez rapidement contrebalancée avec les notes de piano dignes d’un film d’épouvante. C’est d’ailleurs ce que je trouve principalement réussi dans ce film, cette volonté de cultiver l’intrigue avec très peu d’éléments, une simple atmosphère sonore et un cadre confrontant Depardieu à la nature, cette même nature qu’il semble ne plus reconnaitre au fur et à mesure où il s’y enfonce, et nous spectateur sommes dans l’inconnu le plus total.
La frontière du surnaturel est plus ou moins évidente, les événements laissent perplexe, d’une seconde à l’autre un marécage et des scorpions apparaissent, son chien et son fusil disparaissent, son téléphone faisant écho à lui même, puis surtout l’apparition d’un jeune homme inexplicablement évasif sur sa propre présence dans cette forêt bien trop vaste pour ce genre de rencontre impromptue, il en ressort une impression de monde fermé, une perte de repères. Le personnage de Depardieu peine à rationaliser la situation, tout comme nous, il s’accroche à ses vieilles cannes soutenant son imposante bedaine de mammifère se retrouvant à son tour chassé par d’hypothétiques prédateurs, il est devenu la proie d’une nature se jouant de lui. Et l’ambiance cauchemardesque ne fait que s’accroitre sans jamais user d’artifices de mise en scène, elle sera d’ailleurs personnifiée par cette femme silencieuse et livide, sorte d’ange de la mort venant des profondeurs de la nuit, attirée par le feu.
Le projet doit je pense également beaucoup à l’aura qu’émane Gérard Depardieu, possible qu’avec un acteur lambda la proposition eu été un tantinet affaiblie, car au delà de l’atmosphère pesante qu’instaure Nicloux c’est également un film de stature, Gégé est connu de tous comme la figure mythique et insoumise du cinéma français, un ogre qui bouffe la pellicule, cette tentative de le laisser se faire dévorer par le décor et surtout le silence est à mon sens plutôt audacieuse. Le voir s’essouffler, se parler à lui-même, se confronter à des murs c’est aussi une manière de voir comment le comédien réagit seul face caméra, face au public, se livrer en quelque sorte sur sa personne, loin de tout le foin médiatique et de l’étiquette politique qu’on veut bien lui coller, il est simplement invité à vivre le cauchemar de son réalisateur. Le scénario lui délivre quelques pistes pour laisser ce final répondre à certaines interrogations, il y a de bonnes idées en terme de schéma cyclique, l’avant dernière séquence est pétrifiante, cependant le tout dernier plan m’a un peu déçu, libre à vous d’en juger (ou pas).
The End est un film qui certes ne paye pas de mine au niveau des enjeux qu’il soumet, affublé d’une lenteur et d'une abstraction qui pourront inconforter plus d’un spectateur, mais au delà de ça c’est le duel entre notre Gégé national et la forêt des songes qui remporte la timbale, plongé dans ce purgatoire verdoyant tellement insondable qu’il en devient étourdissant, Nicloux réussit à nous immerger dans un univers où la notion d’espace-temps est absorbée, la fameuse frontière entre le rêve et la réalité. Règne donc cette précieuse confusion qui inquiète et fascine, sans éclats, sans grossièreté, juste une issue à dénicher pas à pas par delà les arbres et les mystères, une bonne petite expérience en somme.