A transformer un titre relativement compliqué, je me demande pourquoi en France on ne l’a pas réduit à "3 billboards". Parce que ces panneaux auraient pu être aussi bien les panneaux de la discorde, ou encore les panneaux de la rébellion, de la colère, de l’espoir ou du désespoir, ou même de la dernière chance. Mais bon, quelle importance puisque n’importe quel adjectif spoile plus ou moins le fond de l’intrigue. Le fait est que ces fameux panneaux deviennent l’emblème d’un combat, celui du pot de terre contre le pot de fer. Le combat d’une mère rongée par la douleur (et la culpabilité) contre des autorités en panne d’indices dans une enquête en attente d’un hypothétique coup de chance pour rebondir. Bien que surprenantes quand on ne sait rien du film, c’est en toute logique que les premières images s’attardent sur ces trois panneaux délabrés, implantés au bord d’une route peu passante, auprès desquels s’arrête une voiture. A son volant, une femme au visage fermé, visiblement en prise à une réflexion d’importance. Le début est accrocheur, suffisamment intrigant pour que le spectateur soit hameçonnné et le plonger dans les eaux troubles d’un thriller dont la caractéristique est l’immense développement humain. Ce n’est donc pas tant l’enquête en elle-même que nous sommes invités à suivre. Ni… euh disons pour faire court que ce film se découvre comme un millefeuille : à la fois drame et thriller, il alterne avec beaucoup de subtilité l’émotion avec l’humour noir et tout le sérieux qu'impose la gravité du sujet. Un humour acerbe distillé ici et là par des petites répliques particulièrement acides. Ce n’est pas sans rappeler le style des frères Coen, tant le ton est proche. Surtout si on tient compte de cette radiographie de l’Amérique profonde, celle qui déteste changer ses habitudes et qui fait entièrement confiance aux shérifs, au point de parfois les porter au rang de héros. Perso, je dirai que le ton est mieux que celui des frères Coen. Mais ce n’est pas tout : on notera également la présence de discours moralisateurs, par lesquels on comprend (entre autres) qu’on ne peut pas grand-chose contre la fatalité. Le réalisateur Martin McDonagh a beau être peu prolifique (c’est seulement son troisième long métrage en 9 ans), il signe là une mise en scène des plus abouties. De plus, il est remarquable de le voir s’attarder sur un détail pour le voir ensuite le développer sur un plan plus large. La seule chose qui me chiffonne, ce sont les blessures de Jason Dixon laissées aussi rapidement à l’air libre. Sam Rockwell est assez habitué à interpréter des personnages quelque peu déjantés. Muni de quelques kilos en trop par du rembourrage, il livre ici une brillante démonstration de sa capacité à se glisser dans ce genre de rôles en faisant de Dixon une brute épaisse doublée d’une psychologie inquiétante. En crétinoïde accompli, il constitue toute la tension du film pour la bonne et simple raison que tout peut arriver tant il parait dangereusement explosif. En somme, c’est une véritable bombe à retardement ! Quant à Woody Harrelson, il donne corps à un shérif respecté de tous. Bien que le je-m’en-foutisme a tendance à l’emporter, on éprouvera de la sympathie pour lui, tant il est touchant.;; et humain. Et surtout, sa vision des choses le rendent extraordinaire, et on comprend alors pourquoi les bonnes âmes de cette petite ville le respectent autant. Seulement c’était sans compter sur le fait qu’il soit mis face à ses responsabilités, par Mildred Hayes. Frances McDormand, actrice fétiche des frères Coen, fait de cette mère un modèle de courage, de détermination, de ténacité, quitte à employer les plus grands moyens (et pas toujours des plus recommandables). Elle parvient à mouvoir ce corps à moitié mort selon les désirs de son esprit qui demande justice, et par la même occasion des réponses. La tension est donc palpable et nous tient en haleine jusqu’au bout. C’est pourtant assez lent en raison du développement psychologique de chacun des personnages. Cependant, arrivé à la fin du film, on se rend compte qu’on avait laissé l’ennui sur le palier des portes d’accès au cinéma. Il faut dire que la musique éclectique de Carter Burwell fascine. De l’opéra à la country, en passant par des notes vahinées, le compositeur amène au film une dimension supplémentaire à presque vous en faire hérisser le poil. Dès les premiers accords, sur cette route déserte où Mildred enclenche la marche arrière, on est comme transporté dans un road movie légèrement teinté de western. Alors certes nous avons là un film qui semble suivre le fil rouge de la vengeance, mais au final, qu’est-ce qu’on a ? Un mélo-thriller sociétal à forte dimension humaine. Remarquable par le mélange des genres, où même les petites touches d’humour ont leur place malgré la gravité du sujet. Pas étonnant que "3 billboards, les panneaux de la vengeance" soit le grand gagnant des Golden Globes 2018. Il ne serait pas étonnant de voir ce film revêtir le costume de l'outsider sérieux face à "Pentagon papers" à l’occasion de la 90ème cérémonie des Oscars… avec comme arbitre "Les heures sombres"...
Partagez :
FBfacebook
Tweet