Être critique, ce n'est pas facile. Même si l'on s'adresse à qui veut bien nous lire et qu'on écrit de chez soi sans rien risquer que d'éventuels retours un peu brusques, ce n'est pas facile. Je publie ce texte après quatre brouillons.
Il y a toujours un moment où l'on se demande ce qui nous permet de parler comme on le fait d'arts qu'on ne maîtrisera jamais. On contemple l'œuvre d'une myriade d'artistes avec des yeux curieux, certes, mais qu'assombrissent des sourcils éternellement froncés dans un jugement qu'on réfrène plus ou moins bien – déformation non professionnelle. Ou alors le sourcil est levé, dans l'expectative d'une surprise ou d'une compréhension qui ne viendra pas toujours. Et puis on ouvre sa gueule, espérant parfois que notre assurance est bien placée et non le fruit de quelque cuistrerie. Mais en tout cas, on ouvre sa gueule.
Il y a des films dont je ne sais que dire. Ils ne me donnent pas envie de parler d'eux, et il fut un temps où je me forçais, poursuivant ardemment l'idée qu'un bon critique doit pouvoir tout dire sur tout, sans quoi sa parole n'est pas digne de confiance. J'ai arrêté en réalisant que ces films n'étaient pas l'expression de ma faiblesse, mais simplement là pour me donner des repères et s'assurer que je continue à faire de mon mieux. Ils sont là parce que je ne suis pas de ceux qui se complaisent dans le venin qu'ils déversent.
Roma est un de ces repères. Un film mûri pendant des décennies, qui a germé dès les débuts de Cuarón au cinéma, écrit avec une précision impensable pour un film social, et rempli d'une infinité de symboles. Roma, film dont je ne sais que dire parce qu'il me dépasse. Pourtant je le comprends : je vois le traversement des classes sociales par la grâce, la beauté de relations qui s'établissent au-delà des carcans, le mémento de moments historiques forts à la lumière tamisée du souvenir, et la purification du moi à travers le regard des autres. Roma m'est *accessible*, mais ce n'est pas pour ça que je sais par quel bout le prendre.
Déterminer si je l'ai aimé ou non est tâche impossible, mais il me (re)convainc d'une chose : le cinéma n'aurait plus de sens si on pouvait toujours le broyer en particules irréductibles, alors il faut qu'il nous dépasse parfois. Il faut que parfois, ce ne soit pas au critique d'analyser le film, mais au film d'analyser le critique.