"Tu vois, l'Enfer, c'est tout le temps comme ça..."
Élevée par des parents à la foi inébranlable, la jeune Thelma quitte sa compagne norvégienne natale pour poursuivre ses études à l'université d'Oslo. Un jour, elle rencontre la jolie Anja pour qui elle a un méchant coup de coeur. Seulement ces nouveaux sentiments semblent développer chez elle des troubles épileptiques accompagnés de plusieurs manifestations surnaturelles indésirables. L'amour, quoi.
La crise d'adolescence : sa soif insatiable de liberté, sa quête de différence, son besoin inaltérable d'émancipation... Pour sa première incursion dans le fantastique, Joachim Trier ("Oslo, 31 Août") se saisit de cette période trouble de la vie où chacun façonne sa propre identité pour nous conter l'histoire d'une sorte de Carrie/Charlie égarée dans le cinéma nordique (Trier cite lui-même Stephen King comme influence).
La soif insatiable de liberté
Après une introduction glaçante, on découvre un plan fixe silencieux sur un campus norvégien, la caméra resserre lentement sur une silhouette féminine hésitante sur le chemin à suivre. C'est notre premier regard sur Thelma adolescente. Pour la première fois de son existence, la jeune fille se retrouve seule avec sa propre chambre, ses propres décisions, ses propres interactions avec les autres. Seulement, même s'ils sont à des kilomètres, l'ombre de ses parents est omniprésente : les coups de fil quotidiens obligatoires, le suivi de leur fille à travers Facebook, son emploi du temps qu'ils connaissent par coeur, les reproches insidieux sur son amour sur la science lorsqu'ils lui rendent visite... Car, oui, la vie de ses parents est gouvernée par la religion. À travers quelques anecdotes qu'elle racontera à ses nouveaux amis, le film laisse imaginer ce qu'a pu être l'enfance de Thelma, une innocence étouffée dans l'austérité des interdits dictés par leur foi, si bien que l'on ne peut que comprendre la peur de ses parents, leur main mise invisible sur leur enfant maintenant confrontée à toutes les séductions du monde extérieur qui ne rentrent pas dans leur code de conduite strict.
Mais, malgré tous leurs efforts, ils ne pourront rien contre la force des sentiments. Lorsqu'Anja apparaît par hasard dans la vie de Thelma, il suffit d'un simple regard et la jeune fille s'effondre en convulsant comme si cet éveil amoureux faisait remonter à la surface des envies refoulées avec une telle véhémence que son corps ne pourrait le supporter...
La quête de différence
À partir de ce moment, emportée par l'euphorie de ses émotions nouvelles, Thelma cède à toutes les tentations et expérimente les paradis artificiels de la vie adolescente. Mais, quelque chose cloche, ses crises d'épilepsie apparentes gagnent en importance et les phénomènes étranges qui les accompagnent prennent des proportions de plus en plus bizarres. La séquence de l'opéra où son histoire d'amour naissante prendra une tournure plus concrète en sera d'ailleurs le point culminant et la plus sublime représentation. À la fin de celle-ci, Thelma a désormais la conviction qu'elle est différente. Reste à savoir si elle va assumer sa véritable nature dont elle essaie de comprendre les origines ou laisser l'influence de son éducation religieuse continuer à l'étouffer.
Le discours métaphorique où ses dons fantastiques et son homosexualité s'entremêlent avec une réelle intelligence prend ainsi tous son sens. Si le film n'évite pas quelques poncifs psycho-lourdingues (coucou, serpent tentateur !), la lutte interne de Thelma entre la résurgence de sa nature profonde et le formatage parental l'atteint physiquement tout en engendrant des événements inexplicables à la dangerosité exponentielle. La solution à ce conflit personnel passera inévitablement par une ultime confrontation avec ses parents, ce barrage vital à entretenir ou à abattre pour laisser libre cours ou non à son moi intérieur.
Le besoin inévitable d'émancipation
La dernière étape de cette quête identitaire aboutit donc à ce retour aux sources où un choix crucial l'attend.
Si la première partie du film a brillé par son intensité constante, la deuxième, elle, aura eu tendance à se disperser en essayant de retarder cette dernière confrontation que l'on avait par avance deviner. Mais Joachim Trier aura tenu jusqu'au bout son propos métaphorique avec subtilité, laissant ressurgir avec justesse et de manière plus directe la thématique de l'homosexualité vue comme une maladie par l'environnement familial au détour de quelques scènes et répliques se fondant parfaitement dans le contexte fantastique de son récit pour mieux l'imprégner. Ne cédant pas à la facilité de montrer de façon exéburante les pouvoirs de Thelma (et sans doute aussi à cause d'un petit budget), le réalisateur nous les aura dévoiler de manière inventive, se servant de techniques cinématographiques simples mais complètement efficaces (et peut-être finalement un peu oubliées dans le déluge de FX habituels de ce genre) pour contribuer à l'étrangeté réaliste qui habite le long-métrage. Ceux-ci, toujours en relation avec l'état émotionnel de Thelma exploseront littéralement à l'écran lors du dernier acte cruel, mérité et teinté d'une ironie perfide mais nécessaire. Cette conclusion était attendue mais son exécution la rendra tout simplement passionnante à suivre.
Jusqu'au bout, la prestation, exceptionnelle, de Eili Harboe nous aura hypnotisé et installé une empathie immédiate avec la crise d'adolescence de son personnage jusqu'à ses premiers pas douloureux dans l'âge adulte.
La caméra nous laisse sur un dernier plan fixe similaire à celui du début en élargissant son oeil sur la foule. Thelma n'a désormais plus besoin de personne, ni de notre regard.