Une romance dans la Pologne des années rouges ? Bien sûr, on trouvera cela dans Cold War. Mais on y trouve surtout une interrogation sur la liberté: celle dont un artiste a besoin pour travailler, mais aussi la liberté d'aimer, même si dans cet amour la raison doit céder la chair, les contraintes sociales à l’absolu du désir. Ces deux thèmes, la liberté et l'amour fou, que notre époque a érigé à peu près au même moment en mythe, Pawlikovsky invite donc à les questionner, et c’est sans doute pourquoi ce film magnifique et souvent apprécié a aussi déçu.
A lire les critiques, rares sont ceux qui ont été insensibles à la beauté de la première partie du film, à ces spectacles du chœur populaire dirigé par Viktor, si réussis qu’il aura le privilège, moyennant l’introduction de quelques hymnes à Staline et à la paix, de représenter la Pologne dans tous les pays « frères ». La proposition, et ce qu'elle recèle de servilité, a fortement heurté Viktor. Son visage se crispe mais il acquiesce. Le pouvoir ne tient pas compte de la crispation soudaine de ceux qui ont compris qu’ils ne pourraient sauver leur liberté intérieure, et devraient volens nolens prêter la main à l’abjection. « Crispez-vous, semble dire un ministre, pourvu que vous vous couchiez, et que le spectacle soit beau, et que nul ne puisse rien savoir du reste. »
D'ailleurs, à un musicien aussi talentueux que Viktor, le régime propose, à côté de l’humiliation permanente, une façon assez simple de s’y soustraire : en ce début des années Cinquante, une fois arrivé à Berlin, il n’est pas difficile, à en croire Pawlikovsky, même avec une grosse valise, de passer à l’Ouest, et de goûter à la liberté. Être libre ? Mais encore ? C’est là que le film déploie ses lancinantes interrogations, et qu’on peut ou non le suivre. Car si la main de fer du régime continue de s'appesantir, conformément à nos attentes, l'illusion de la liberté se dissipe et il ne reste que deux êtres fragiles et perdus bientôt devant l'immensité du désastre.