Après le coup d’état de 1973 en Uruguay, trois hommes, José « Pepe » Mujica, Eleuterio « Ñato » Fernández Huidobro et Mauricio « Ruso » Rosencof, trois Tupamaros (pour faire court, des militants d’extrême-gauche) sont, comme de nombreux autres prisonniers politiques, gardés comme otages par la junte militaire au pouvoir, et leur calvaire va durer douze longues années. Ce film évoque leur histoire. Ce n’est pas un documentaire sur la dictature (moins connue au demeurant que celles du Chili ou de l’Argentine), car on reste vraiment au plus près des trois personnages principaux, qui sont coupés du monde pendant plus d’une décennie. Plutôt que de filmer des scènes spectaculaires, le réalisateur s’attache à montrer la torture psychologique qu’ils ont subi, privés de tout ce qui fait la dignité humaine : isolés 24 heures sur 24 dans des cachots minuscules et sordides où la lumière du jour n’entre jamais, mal nourris, dans des conditions hygiéniques déplorables, avec l’interdiction de lire, écrire, ou communiquer avec qui que ce soit… les mots sont insuffisants face à la réalité. Mais si ce résumé vous donne envie de fuir, rassurez-vous : le film ne se résume pas à un huis clos glauque pour spectateurs masochistes. L’horreur ne parvient jamais à effacer complètement l’humain, qui se manifeste au travers de différentes scènes : les brèves rencontres avec les familles, très émouvantes, les parties d’échecs en morse entre Ruso et Ñato, et plus surprenant encore, le lien qui se créée presque malgré lui entre Ruso et l’un de ses geôliers… Et comme l’humour est tout ce qui reste dans les situations les plus désespérées, il y a même quelques scènes drôles (peu, mais il y en a) ! Si le scénario suit la chronologie de l’histoire, il n’est jamais linéaire, ménageant des flash-back mais aussi des scènes étranges relevant du délire psychotique de Pepe, qui sombre dans la paranoïa. En deux heures il n’y a aucun temps mort ! Les trois acteurs principaux (Antonio de la Torre, Chino Darín et Alfonso Tort) sont excellents, dévoués corps et âmes à leur rôle. Enfin, la réalisation est d’une maîtrise remarquable : le plan d’ouverture, littéralement étourdissant, vous fait entrer d’emblée dans le film, et le montage parallèle entre Pepe, Ñato et Ruso est très efficace. En un mot comme en cent : magistral ! Probablement un des films les plus forts de l’année !