Le roman de Leïla Slimani part de la fin pour réinjecter dans la figure de la nourrice une humanité et un trouble, ce qui constitue une audace narrative. Le film, quant à lui, rétablit l’ordre chronologique et choisit la forme du thriller, choix efficace puisque la dimension suspensive de l’ensemble est très bien mise en scène, choix qui néanmoins aplanit quelque peu l’œuvre originale, la raccorde au tout-venant des intrigues à retournement. Car la question qui obsède le spectateur, durant l’heure et demie de long métrage, est la suivante : quand la nounou va-t-elle passer à l’acte ? On voit les bleus, les morsures, on ressent une tension qui monte petit à petit : les jeux durent trop longtemps et vont trop loin, le passé de Louise, à mesure qu’il se précise, apparaît comme un spectre, une ombre au tableau. Lucie Borleteau délaisse la focalisation adoptée par la romancière pour retrouver les chemins balisés d’un genre, mais réussit parfaitement à les emprunter, si bien que film et roman sont deux œuvres distinctes, qui communiquent l’une avec l’autre, mais de façon imparfaite. D’où l’intérêt d’une adaptation au cinéma. La réalisatrice brosse le portrait de personnages attachants et pourvus d’une profondeur émotionnelle véritable : avec eux surgit un milieu social – la petite bourgeoisie parisienne –, aussitôt situé par rapport à la vie modeste de Louise qui, derrière ses sourires et son professionnalisme, laisse deviner une histoire personnelle douloureuse faite de violences, de ruptures et de privations. Racler le pot de yaourt, ne pas jeter les denrées récemment périmées, conserver les restes dans des bols recouverts de film plastique : des petites manies qui révèlent un mode de vie, un rapport au monde en inadéquation avec les valeurs défendues par Myriam et Paul. Chanson Douce met donc en relief d’autres caractéristiques de l’œuvre originale et saisit de façon remarquable le processus d’une dépossession de ses enfants au nom d’une plus grande liberté retrouvée ainsi que le processus d’un transfert émotionnel ; il s’entoure d’acteurs au sommet de leur art, mention spéciale à Karin Viard, élabore une gradation dans la dégradation des relations qui fait froid dans le dos. Un film réussi, à voir.