Dans la filmographie de Clint Eastwood, on peut constater que le parcours du cinéaste a pris bon nombre de détours multiples pour globalement passer de la fiction à la réalité. Autant dire passer du complexe au simple… et inversement ! En effet, retranscrire la réalité d’un fait réel n’est jamais simple, tout bonnement parce qu’il est toujours assez compliqué de recréer tous les éléments. "Le 15h17 pour Paris" en est le parfait exemple. Sans doute Eastwood en avait conscience, ce qui expliquerait le choix de dresser le portrait de ces jeunes américains avant de nous amener à bord du Thalys n°9364 reliant Amsterdam à Paris, et ce dès leur plus jeune âge (bravo au passage aux trois jeunes acteurs pour leur excellente copie). Voilà qui ne manquera pas de surprendre le public, tout comme cela avait été le cas en se focalisant sur les suites juridiques de l’improbable et pourtant vrai amerrissage sur l’Hudson. Eastwood aime les histoires qui sortent de l’ordinaire, on le sait depuis quelques temps maintenant, qu’elles soient connues ou pas. Et il est vrai qu’il est toujours intéressant de connaître la personnalité des acteurs impliqués dans les faits relatés. En abordant l’attentat avorté à bord de ce Thalys, Eastwood fait coup double (décrire les personnages et recréer les éléments du contexte) en faisant directement appel aux personnes concernées. Ainsi, qui de mieux que Spencer Stone en chair et en os pour entrer dans les traits de Spencer Stone ? Qui de mieux qu’Alek Skarlatos pour se représenter lui-même ? Eh bien il a été fait pareil pour le troisième larron, à savoir Anthony Sadler pour incarner sa propre personne. Eux seuls (et une poignée de passagers) pouvaient retranscrire tous les détails de cette attaque. C’est ainsi que Mark et Isabelle Moogalian nous font grâce de leur courageuse participation. Eastwood avait alors tous les éléments en main (en complément du bouquin que les trois copains ont sorti ensemble) pour reconstituer l’événement du 21 août 2015. Par la description de la personnalité des gars, Eastwood n’en fait pas vraiment des héros, tout comme pour le commandant de bord Sullenberger. Certes, leurs actes sont héroïques, ça on ne peut pas le nier. Et pour être honnête, nous n’avions pas besoin de ce cher Clint pour les porter au rang de héros. Mais tels des gens formatés pour cela, ils n’ont fait ni plus ni moins que ce qu’on leur avait appris à faire. Pour le démontrer, Eastwood a pris plusieurs options : suivre la construction de ces trois personnages devenus inséparables depuis leur plus tendre jeunesse, et instaurer le fruit des formations que Spencer aura dû suivre au gré de ses échecs, véritable fil rouge matérialisé par l’adage répondant au fait que c’est la vie qui vous propulse vers votre propre destinée. Seulement voilà : cette façon d’aborder l’événement ne va pas plaire à tout le monde. Et si j’en juge par les notes, il semblerait que ce soit le cas, bien que je n’aie pas pris la peine de lire les avis négatifs. La plus grande partie du public n’attendait sans doute pas une telle description des personnalités, pas plus que le cinéaste prenne autant de temps avant d’en arriver à ces instants d’horreur. Peut-être s’attendait-elle à retrouver tous ces personnages seulement quelques heures, voire quelques jours avant la tentative échouée de l’attentat. Voire même de voir le terroriste préparer son acte bien avant de monter dans le train. Mais faire un film sur un acte qui a duré quoi ? quelques secondes ? quelques minutes à peine ? Ça parait mince. Bon d’accord, il manque des choses, comme les propos de Jean-Hugues Anglade, particulièrement choquant de la part de quelqu’un qui n’a rien fait alors qu’il était à bord de ce train. C’est si facile de critiquer de loin… Impardonnable selon moi ! Le fait est que l'acteur français ne figure pas dans la distribution, et si j'avais été à la place d'Eastwood, je l'aurai copieusement boudé aussi. En revanche, certains faits et personnages ont été créés de toute pièce pour les besoins du tournage. Il manque également le point de vue des voyageurs, lesquels ont dû croire leur dernière heure arrivée. Ça a été fait à travers le couple Moogalian. C’est vrai que le cinéaste aurait pu croiser davantage de destinées. On aurait peut-être eu droit à plus de dramaturgie, à plus de puissance dans le récit, à plus d’immersion dans cette voiture première classe. En dépit de cela, c’est encore une fois un film maîtrisé par ce grand monsieur qu’est Clint Eastwood. Cependant ce n’est pas le long métrage le plus mémorable non plus. Il manque un truc. Quelque chose d’essentiel : on n’arrive pas à éprouver une quelconque empathie envers les trois potes. Il y a certes une belle complicité, et ils nous font parfois sourire aussi. Ça fait plaisir de voir que l’amitié peut durer malgré les années qui passent et l’éloignement. Mais voilà : le spectateur reste au simple rang de spectateur. Alors si on rajoute ça à la façon dont a été abordé le sujet, alors la note moyenne obtenue au moment où j’écris ces quelques mots se comprend. Mais comme je le dis plus haut, je ne vois pas comment ce fait aurait pu être abordé autrement. Donc pour moi, ce 2,6 ressemble plus à un vote sanction plus qu’autre chose. J’admets cependant qu’Eastwood vieillit : il commet des erreurs qu’il ne faisait pas auparavant. Prenez la façon de filmer la rame Tahlys par exemple : elle est montrée systématiquement alors qu’elle roule au ralenti, et en prime pantographes baissés. On voit même le train quitter la gare de Bruxelles avec la trappe d’attelage ouverte à l’arrière ! Bon pour l’histoire des pantos baissés, il vous faut savoir chers lecteurs et chères lectrices que sur les lignes à grande vitesse, il y a des zones de sectionnement sous lesquelles tous les trains doivent abaisser ces outils servant à capter le courant (du 25 000 volts alternatif... ça pique !!!). Ne me demandez pas pourquoi, ce serait trop long à vous expliquer. Mais ça m’étonne quand même de voir rouler cette belle rame rouge ainsi à si faible allure. Nous sommes loin des 300 km/h ! L’impression de la vitesse n’est visible que lorsque nous sommes à bord du train. Ce qui me fait dire que le budget n’était pas suffisant. Parce qu’il y avait moyen, quand on voit comment a été filmé le dernier record du monde sur rail de notre cher TGV. Alors voilà pourquoi je ne donne qu’un 3,5/5. Cependant, si vous le regardez en VOSTF (ce que je vous recommande), vous remarquerez qu'Eastwood ne s'est pas laissé embarqué dans son américanisme en laissant la langue française... aux français. Mais ça, nul ne le saura s'il regarde "Le 15h17 pour Paris" en VF. Pour finir, ne partez pas sitôt le début du générique. Un complément d'information vous sera donné durant celui-ci quant à ces jeunes valeureux américains.