L’héroïne de Mignonnes louvoie entre deux rives que tout oppose : d’une part les traditions musulmanes d’une famille qui doit célébrer le remariage du père avec une seconde femme, d’autre part la modernité du twerk, danse lascive et sensuelle qui met en avant les formes d’un corps féminin lancé dans une série de poses suggestives. Et ce louvoiement se traduit par une différence symbolique de féminité, qui s’incarne dans le vêtement porté : une robe bleue pour le mariage, un short slim pour la danse. L’intelligence du long métrage de Maïmouna Doucouré est de renvoyer dos-à-dos ces deux influences pour permettre au personnage d’Amy de trouver sa voie, de s’émanciper des éducations reçues pour s’élever et s’élever encore, parfaitement dans le centre du cadre, libérée enfin. Sont donc en jeu deux idées de la sexualité de l’adolescente qui, sans le savoir, s’entretiennent et se révèlent l’une l’autre, pour une même hypersexualisation différenciée parce qu’elle paraît tantôt de façon publique – le twerk perçu comme phénomène mondialisé – tantôt de façon privée, puisque les rites musulmans ne s’affichent pas ostensiblement. Le regard que porte la réalisatrice sur son protagoniste principal est un regard qui lui permet de démystifier cette hypersexualisation et d’en faire l’expression d’un mal-être et d’un mal-vivre, d’un déficit d’attention et d’amour dans une société qui enlève les mères et les pères, qui crie et menace sans proposer d’aide. Même l’institution scolaire échoue ici à accueillir l’enfant, reproduisant dans la salle de classe ou dans la cour les dynamiques d’exclusion dont il est déjà la victime chez lui. Et si Mignonnes dérange, s’il choque par la crudité de son esthétique qui n’hésite pas à filmer les corps de ses jeunes adolescentes comme le ferait un clip – clips qui sont la principale source d’inspiration d’Amy –, c’est pour mieux confronter le spectateur à la brutalité d’une réalité qui s’installe dans le temps et qui dure et qui dure, là où le clip dispose d’une durée limitée que l’on peut accélérer à son gré. La démarche de Doucouré est donc polémique, écartée de tout discours moralisateur qui délivrerait, en guise de clausule, un enseignement ; dommage qu’elle ne soit pas davantage artistique, c’est-à-dire qu’elle n’investisse pas davantage le cinéma. La mise en scène applique le cahier des charges du drame social lambda sans penser la révolte ou l’égarement par des mouvements de caméra, par un travail visuel ou sonore – exception faite de la très belle séquence où Amy assiste sous son lit aux contraintes qui pèsent sur sa mère –, par un parti pris au niveau du rythme et du montage. En outre, certaines séquences à l’esthétisation appuyée semblent encourager ce que le film lui dénonce, à savoir l’iconisation et la fétichisation d’adolescentes prises au piège de postures dont elles ne comprennent pas la portée : pensons à ce long ralenti sur le groupe d’amies revenues du shopping – que l’affiche française reprend d’ailleurs – ou au plan qui vient refermer le long métrage. Manque à Mignonnes une force et une rigueur de mise en scène qui, seules, auraient permis à la réalisatrice de convertir son propos politique en charge cinématographique. Reste un puissant parcours d’adolescente qui justifie à lui seul le visionnage.