Créer une origin story du plus grand super-vilain de l'Histoire est un pari audacieux (et casse-gueule), surtout lorsqu'un réalisateur de comédie s'y attelle pour lancer un film violent, adulte et aux antipodes de ce qui se fait dans l'industrie.
Et "Joker" est simplement une raison de ne toujours laisser le bénéfice du doute.
Joaquin Phoenix (qui signe une de ses toutes meilleures performances) porte le film littéralement, proposant une interprétation proche du Joker d'Alan Moore et Killing Joke. 3 rires différents, passant par tout le spectre émotionnel et transformé physiquement, on a une interprétation unique et marquante qui mérite déjà l'Oscar. C'est une vraie plongée dans la folie du personnage, et le très bon script nous fait ressentir de la pitié, du malaise et une vraie compréhension du personnage paradoxalement, dans un Gotham qui flirte bon le cinéma de Friedkien et Scorsese (c'est sale, pluvieux et gangrené par la violence), grâce au travail du chef décorateur Marc Freidberg (If Beale Street Could Talk).
La plongée en 1981 est également renforcée par un très bon travail des costumes par Mark Bridges (fidèle collaborateur de Paul Thomas Anderson).
En parlant de Scorsese, oui le film emprunte beaucoup à Taxi Driver et King of Comedy (ce qui peut donc conférer à l'histoire un aspect plutôt attendu in fine), mais Joker arrive à trouver sa propre voix, et là où il m'a réellement impressionné c'est dans sa manière d'aborder la mythologie de Batman (sans spoiler, c'est tout simplement parfait, et ceux qui avaient peur d'un film qui nous dévoile absolument tout du Joker auront des surprises).
En plus de ça, le film peut également être vu comme un brûlot social intéressant (chose qui va faire parler bien sûr), rendant le pouvoir aux opprimés sur les hautes strates privilégiées.
La photographie du film par Lawrence Sher est excellente, Todd Philipps soigne sa mise en scène avec pas mal de poses et une caméra proche des personnages pour mieux capter les émotions. Mais undes gros points forts du film est également la BO de Hildur Guonadottir, qui après Sicario 2 et Chernobyl, nous livre une composition anxiogène, atmosphérique et mélancolique qui donne une grâce à pas mal de moments importants, sans jamais lâcher le spectateur.
Si Phoenix est présent à l'écran pour 95% des plans, le reste du casting (que ce soit Robert De Niro dans un rôle de présentateur TV proche de La Valse des Pantins, Zazie Beetz, Frances Conroy, Brett Cullen ou bien le duo Bill Camp-Shea Whigham, c'est un sans faute).
Si le film a une vraie montée en puissance savoureuse et un dernier quart puissant, on pourra peut-être "reprocher" une toute fin plus fermée qu'espérée, qui laisse le film légèrement dans l'ombre de ses illustres aînés Scorsesiens.
Néanmoins, Joker est un film important dans le paysage cinématographique, sans doute le comic book movie le plus dark jamais fait (qui n'hésite pas à aller vers un humour noir bienvenu) ainsi qu'une étude de personnage fascinante comme on pensait ne plus en faire.
Excellent et marquant !