Monsieur : les secrets du tournage

"Fait rare, Jean d’Ormesson fait partie des « Grands » consacrés avant leur mort. C’était un « mythe social vivant ». L’incarnation de l’esprit français. Tout du moins, d’une certaine France. Plus encore, Jean est le reflet d'une époque, celle du XXe siècle et de ses contradictions, et d’une rupture, celle d’un monde révolu et du nôtre. Un pied dans le passé, l’autre dans le présent, ses yeux étaient pourtant toujours tournés vers l’avenir. C’est son regard unique justement qui a confirmé mon envie de réaliser ce film. Comment mieux comprendre notre monde qu’à travers les yeux d’un homme qui y vit depuis près d’un siècle ? Comment mieux appréhender le futur qu’en apprenant du passé ? En filmant l’écrivain ces dernières années, j’ai vu la portée symbolique que pouvait représenter ce film. Le témoignage d’une vie par un Immortel, la confrontation d’un personnage brillant et de ses contradictions, d’une France disparue et d’un monde pluriel : l’éternelle querelle du Monde d’hier à celui d’aujourd’hui."

Le présentateur d'Un jour, un destin était très proche de Jean d'Ormesson, disparu en décembre 2017 à l'âge de 92 ans. L'écrivain, membre de l'Académie française, fut directeur général du Figaro dans les années 70. Il signa plus d'une quarantaine de romans et fut Officier de l'ordre national du Mérite ainsi que Commandeur de l'ordre des Arts et des Lettres. Au cinéma, on avait pu le croiser dans Éloge de l'amour de Jean-Luc Godarden 2001 et Les Saveurs du palais en 2012 aux côtés de Catherine Frot où il incarnait le Président de la République.

Monsieur résulte d’une envie : comprendre qui est Jean d’Ormesson. Qui se cache derrière l'un des plus grands esprits français de notre époque ? Quid de l'aristocrate, de l'écrivain du bonheur, du séducteur invétéré ? Ce sont les failles et les faux-semblants du personnage qui ont confirmé l'envie de Laurent Delahousse de réaliser ce film. Il explique : "Observer cet homme au crépuscule de son existence avec toute la gravité et la fragilité que cela suppose. Déceler ses doutes alors que l’écrivain vit l’apogée de sa carrière et que la reconnaissance littéraire vient couronner son oeuvre. Comprendre enfin ces mots qu'il me confie souvent : « J'ai souvent l'impression d'être déguisé en grand écrivain ». Si l’homme a toujours su se masquer derrière sa plume et le petit-écran, peut-être est-il temps de le démasquer pour mieux comprendre son oeuvre, sa pensée et sa philosophie. Pour mieux cerner le fils, le père, l'époux, l’amant, l’ami…"

En faisant le choix de filmer Jean, Héloïse, sa fille, et Marie-Sarah, sa petite-fille, Laurent Delahousse a réuni trois générations d’Ormesson, chacune étant annonciatrice et révélatrice de la suivante (et chacune étant symbolique d’une époque et d’un esprit).

Dominique Arnouilh, la secrétaire de Jean depuis ses années au Figaro a retranscrit tous les livres de l’écrivain depuis près de trente ans. Ce film marque leur dernière collaboration puisqu’à 90 ans, la secrétaire part à la retraite. Dominique est en quelque sorte le double de Jean : même profil, allure masculine, cheveux blancs et courts, yeux azur… Elle connaît parfaitement Jean et n’a pas peur de révéler ses inconstances et ses travers. Dans ce film, elle est en quelque sorte la voix de sa conscience.

Olivier Cadot, le maître d’hôtel, est l’homme de confiance, l’homme de tous les instants. Au service de la famille d’Ormesson depuis près de quarante ans, il exerce son métier avec élégance et discrétion afin de perpétuer la tradition et un art de vivre où priment les bonnes choses et les belles manières. Il sait tout mais ne dit rien. Depuis toutes ces années, il répond aux sollicitations diverses de Jean d’Ormesson par un mot qui résonne et qui résume tant : "Monsieur".