Il m'est souvent difficile d'écrire sur un film aussitôt visionné. Sans doute lié au fait que je ne sais pas quoi en dire. Rien à voir avec la qualité de celui-ci d'ailleurs. Ni même avec le plaisir que j'ai eu à le regarder. Au point de le laisser filer et de ne rien en écrire, avec le risque de l'oublier - avec tous les autres - au fond de ma mémoire. S'ils sont au fond de ma mémoire, alors tout va bien. En réalité, il est très rare qu'un film me laisse totalement indifférent. Voire jamais. J'ai donc beaucoup de travail pour rattraper mon retard et partager cela.
Mais dans le cas précis de Bruno REIDAL - oui il s'agit bien d'un titre Prénom NOM que j'écris donc ainsi par habitude - il y a quelque chose de puissant qui me pousse à immortaliser mes sensations, quasi immédiatement, c'est à dire avant de laisser la place à la prochaine séance. L'occasion de les identifier, et peut-être de les comprendre...
Je ne peux pas m'empêcher de penser à un certain Pierre RIVIÈRE [Moi Pierre RIVIÈRE, ayant égorgé ma mère, ma sœur et mon frère - René ALLIO, 1976]... que je vais m'empresser de visionner. J'ai déjà eu le DVD entre les mains sans trouver le courage de le voir. Le titre ne m'a peut-être pas aidé à le trouver... Ou peut-être me suis-je laissé tenter par un autre de la série louée ce jour-là ? Un autre, un peu plus... un peu moins... quoi ? Je ne sais pas.
Serait-ce à ce moment que j'ai vu Lucien LACOMBE (Louis MALLE, 1974) ? Le lien n'est pas évident à expliquer mais mon cerveau l'a fait immédiatement. J'ai envie de lui faire confiance et d'en chercher les bonnes raisons. Serait-ce à cause de cet homonyme cité au début du film, par Bruno lui-même, qui explique avoir été loué par sa mère pour travailler chez les LACOMBE... ? Serait-ce dû à la proximité des deux personnages ? À leurs similitudes... Leur force, leur fragilité... Leur instabilité, et ce qu'elle génère de méfiance en nous, lorsqu'on les observe, comme à l'affût de ce qu'ils seraient capables de faire - pour exister - chacun à leur manière.
Dans cette série d'emprunts à la médiathèque, y avait-il Jeux Interdits ?! Là encore le lien n'est pas du tout évident. Mais je le fais malgré moi, à posteriori cette fois, c'est-à-dire après que ma mémoire ait elle-même fait les liens entre des éléments encore inconscients au moment du visionnage. Mais c'est assez logique. Le rapport à la mort évidemment. Le rapport à l’interdit (!). Le rapport au milieu social. À l'enfance. À l'enfance solitaire. Mais je crois que ce sont les animaux. Dans les deux cas, il n'est pas question de leur faire du mal. Un point commun qui me conforte dans l'idée que Bruno - contrairement à Lucien - ne ferait pas de mal à une mouche. Elle est bonne celle-là ! Je me comprends...
Grâce à ce postulat qui me sert peut-être de justificatif, je comprends alors que je n'arrive pas à le haïr. Et j'ai envie de penser que c'est le cas de Vincent LE PORT - réalisateur dont je ne connaissais pas le travail... Nous avons d'ailleurs le point commun d'être nés dans la même ville (et alors ?! rien, ça me fait plaisir !) - qui met en scène l'autoportrait d'un jeune homme attachant. Car il s'agit bien de cela ; le narrateur nous raconte factuellement sa propre histoire et nous parle de lui et de ses sensations-émotions.
Avec ce qu'il faut de plissement d'yeux - et une portion de main glissée devant la moitié gauche de l'écran - pour dissimuler au moment venu ce que je ne voulais pas voir frontalement, j'ai bien évidemment lutté et détesté voir la cruauté de cet assassinat, mais je ne parvenais toujours pas à le haïr.
Comment en suis-je sûr ? Car d'habitude une scène de viol ou de torture - par exemple - va me faire me tordre et bondir de colère, le poing serré, dans mon fauteuil ou mon canapé... Là, c'est comme si une sorte de consternation m'en empêchait.
L'occasion - si besoin il y a - de préciser la grande pudeur de la réalisation. Les questions sont posées, les faits - et les émotions - sont alors décrits avec précision. Les mots - justes et choisis - sont dits, repris et redits - avec la volonté sans doute d'être clairement entendus - car ils sont incontournables pour le récit du protagoniste qui s'explique puisqu’on le lui demande, précisément, assumant alors son caractère obsessionnel. Mais aucune image superflue n'est au montage. Celles qui seront choisies viennent confirmer que le récit n'est pas qu’un récit, ni une fiction.
Un jeune homme attachant.
Et c'est là toute l'ambiguïté - presque malsaine ? - dans laquelle nous plonge le film.
Voici sans doute une autre raison pour laquelle je tenais à écrire. Non pas pour remplacer une séance de psychanalyse personnelle, mais bien parce que ce film questionne. Il me questionne en tout cas. C'est je crois l'un des aspects intéressants d'un film réussi et dont le sujet est - contrairement aux apparences - très complexe.
Comment le juger ?! Comment jugeait-on ce genre d'actes en 1905 ? Comment les juge-t-on aujourd'hui ? Car même si le monde a évolué en tout point de vue, notre rapport - celui de l'humanité - au meurtre et à la violence reste intemporel, il me semble.
Mon lien est tout fait et j'ai failli oublier d'arriver à la scène que je voulais évoquer - sans dévoiler quoique ce soit ici - pour parler de la notion du jugement... La scène où ce policier décapite virtuellement le jeune meurtrier auto-dénoncé, resté muet, et lui assène discrètement des mots « coup de grâce » - peut-être les plus violents du film - en l’évacuant après la reconstitution des faits.
Je ne cherche pas à défendre son acte ni même à l'excuser. Je ne suis pas le parent de l'enfant qu'il a tué et pas non plus le juge qui décidera de la sentence. Je ne suis qu'un spectateur devant un écran et justement alors, je me permets de réfléchir. De me questionner. Je cherche à le comprendre. Certains diront sans doute que je me fais l'avocat du diable, mais il se trouve que c'est enrichissant. Tout comme il doit être enrichissant de se fondre dans l'interprétation d'un rôle comme celui-ci. Il est fort à parier que Dimitri DORÉ - dont la voix douce et le regard tendre contribuent à révéler toute l’ambiguïté d’un personnage qui ne sait simplement pas distinguer l’amour - sera l'une des révélations masculines des prochains CÉSAR.
Il est désormais indispensable de parler de cet homme, Alexandre LACASSAGNE (Jean-Luc VINCENT), le professeur qui - avec d'autres - le questionne et tente de comprendre. D’abord neutre, presque détestable, son œil brillant (!) est peut-être celui du spectateur que je suis, touché par autant d'intelligence et de recul de ce gamin sur lui-même.
Enfin, je pars de l’hypothèse que la narration du film est fidèle au réel récit de Bruno REIDAL. Mais après tout, qu'importe. Si Vincent LE PORT s'est appuyé sur la véritable narration, il en livre une retranscription fascinante. Si ce n'était pas le cas, il réussit alors de surcroît - en qualité de scénariste-dialoguiste - à l'enrichir avec brio.
Il ne me reste plus qu'à visionner le film de René ALLIO et lire Bruno REIDAL (ou les travaux de LACASSAGNE)... De belles soirées en perspective !
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BRUNO REIDAL - Vincent LE PORT, 2022 // Instantané 1
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[séance : 03 avril 2022 - version : 04-05 avril 2022 - publication : 05 avril 2022]