Pour Todd Haynes « Dark Waters » tient assurément de l’exercice de style. Le projet lui est proposé par Mark Ruffalo suite à la lecture d’un article de Nathaniel Rich paru dans le New York Times Magazine au sujet du procès entamé en 1999 par Robert Billott, avocat dans un cabinet de Cincinnati spécialisé dans la défense de l’industrie chimique, contre Dupont Nemours qui utilisait un terrain proche de l’une de ses usines pour y enfouir des déchets toxiques. Le réalisateur a été séduit par la possibilité qui lui était offerte, lui le cinéaste de l’intime, de se mesurer au film de procès, genre typiquement américain, auquel se sont confrontés de grands réalisateurs comme John Ford, Otto Preminger, Alfred Hitchcock, Sidney Lumet, Stanley Kramer, Robert Mulligan, Martin Ritt, William Friedkin, Alan J Pakula ou plus récemment d’autres comme Francis Ford Coppola, Bob Reiner, Jonathan Demme et Steven Soderbergh. C’est justement l’ombre tutélaire du film de Soderbergh, « Erin Brokovitch, seule contre tous » qui plane au-dessus de l’affiche de « Dark Waters ». Les deux films évoquent l’empoisonnement de l’eau par des multinationales sans scrupule qui usent de l’armada d’avocats à leur solde pour nier tout d’abord puis ensuite amoindrir leur responsabilité. Todd Haynes a délibérément choisi de ne pas recourir au suspense de l’enquête pour faire davantage s’interroger le spectateur sur les ressorts qui poussent un homme à s’engager brutalement dans une voie contraire à celle qui jusque-là a guidé sa vie. Malheureusement, c’est précisément sur ce registre qu’il ne parvient pas à convaincre pleinement. Pourquoi un avocat nouvellement promu associé dans un cabinet prospère qui a bâti sa réputation sur la défense des entreprises de l’industrie chimique va-t-il aller jusqu’à mettre sa situation, son couple et sa santé en jeu afin de défendre une cause qui ne l’a jusqu’alors jamais vraiment ému ? La trame de l’avocat contre une multinationale étant désormais classique, le réalisateur tenait là une approche intéressante qui lui était offerte par un cas réel dont le principal protagoniste pouvait encore livrer sa vérité. Les quelques images chocs à la limite du gore fournies en entame tout comme la visite à sa grand-mère habitant sur le lieu de la pollution ne suffisent pas à comprendre les motivations profondes de Robert Bilott (Mark Ruffalo). Le grand acteur qu’est Mark Ruffalo malgré la réelle conviction qu’il met dans son interprétation n’arrive pas à donner une réelle substance à cette profonde mutation. Paradoxalement, on comprend mieux le changement de pied du directeur du cabinet d’avocats joué par Tim Robbins qui arrivé en fin de carrière est intimement troublé par l’acharnement de son associé qui lui fait comprendre tout ce à quoi il a choisi de renoncer pour sa réussite et lui donne pour le coup une occasion de conclure sa carrière sur une sorte de rédemption symbolique. Le refus du suspense, seule véritable arme pour transcender un genre très codifié et plutôt statique se paye donc au prix fort pour Todd Haynes qui n’est pas parvenu à ses fins. La tentative était plutôt osée et louable mais sans doute pas à la portée d’un réalisateur bien plus à l’aise quand il est lui-même à l’écriture ou à l’origine des projets dans lesquels il s’engage. Reste la volonté louable d’apporter sa contribution à la dénonciation des pratiques indignes des grands groupes qui finissent tout de même Outre-Atlantique par être lourdement condamnés. On aimerait qu’il en soit de même au sein de la vieille Europe.