Etrange de comparer ce film avec 2001 Odyssée de l’espace : c’est presque un film historique, ou plutôt historiquement contextualisé, se déroulant pendant la guerre du Vietnam, mais c’est aussi un voyage, et l’idée de trip hallucinogène y a aussi sa part. C’est arriver au bout de quelque chose, d’une notion existentielle, le voyageur du film de Kubrick s’enfonçait dans l’espace, et remontait le temps de la même façon qu’il s’éloignait des humains. Les deux œuvres ont en commun, chez Kubrick des sauts spatiotemporels, ici des étapes qui peu à peu plongent le récit dans une sorte d’absurdité, d’une conscience qui s’approche, par des expériences successives de la folie : le point d’acheminement constitue une énigme que les deux films reflètent, l’énigme de la vie, ou l’énigme de l’horreur, du mal absolu, de l’affranchissement de la morale pour vaincre dans une guerre totalement absurde. On pourrait dire que Coppola a voulu atteindre là le chef-d’œuvre cinématographique, toucher au génie, en mettant en scène un personnage qui échappe à toute catégorie, qui ne se libère pas au sens d’une construction, mais se libère au sens de la complète destruction de ses repères moraux. Le livre de Conrad est d’une profondeur assez abyssale, et décrit l’échec de la colonisation : aujourd’hui lorsqu’on voit ce qui peut se passer en Centre Afrique, ce qui s’est passé au Rwanda, et tous ces pays en proie à des guerres d’une violence inouïe, on voit le résultat ( je ne sais pas si c’est réellement une cause et son effet) de la période coloniale, l’horreur. Mais ici il s’agit du Vietnam, et en matière de blessures de guerre, l’Occident a tout essayé, le suicide des nations, pour satisfaire l’idée de nation, depuis que l’Etat nation s’est créé.