Paul Graff a onze ans. Il grandit dans le Queens, un quartier de New York, au sein d’une famille juive ashkénaze (son arrière-grand-mère a fui les pogroms d’Ukraine) qui se réunit régulièrement autour de grandes tablées bruyantes. Paul est couvé par sa mère (Anne Hathaway) mais élevé à la dure par son père (Jeremy Strong). Il est profondément attaché à son grand-père (Anthony Hopkins). Ecolier rêveur, plus doué pour le dessin que pour les matières académiques, il fait son entrée au collège et s’y lie immédiatement d’amitié avec Johnny, un jeune redoublant noir élevé par sa grand-mère grabataire.
James Gray est sans doute un des réalisateurs les plus talentueux de sa génération. Chacun de ses films depuis près de trente ans a fait l’événement : "Little Odessa", "The Yards", "Two Lovers", "La nuit nous appartient", "The Lost City of Z"…
"Armageddon Time" est, à ce jour, son oeuvre la plus autobiographique. Il y raconte sa pré-adolescence, au début des années 80, juste avant l’élection de Ronald Reagan qui, pour ses parents, électeurs démocrates convaincus, sonnait le glas de l’apocalypse nucléaire (c’est ainsi que s’éclaire non sans mal le titre cryptique du film sur lequel a été mixé le titre paronyme de "The Clash", face B du single "London Calling", "Armagideon Time", nourri d’une colère rentrée).
Qu’un réalisateur raconte son enfance est décidément monnaie courante. Quentin Tarantino ("Once Upon a Time… in Hollywood") et Paul Thomas Anderon ("Licorice Pizza") viennent de le faire. Fellini ("Amarcord") et Coppola ("Peggy Sue s’est mariée") l’avaient fait avant eux.
Le problème est que le genre est désormais galvaudé et manque d’originalité. C’est bien là le principal défaut d’"Armageddon Time".
Bien sûr, il est remarquablement scénarisé, remarquablement interprété (une mention spéciale au jeune Banks Repeta au début, on l’espère d’une longue carrière et à Anthony Hopkins, bien entendu, à la fin de la sienne), remarquablement éclairé par le grand Darius Khondji), remarquablement monté. On ne s’y ennuie pas une seconde, même s’il progresse à un rythme de sénateur et traverse à mi-parcours un ventre mou. Mais ses rebondissements, dont on ne peut rien dire, sont tellement prévisibles qu’ils perdent tout intérêt.
"Armageddon Time" ne se limite toutefois pas à une nostalgique chronique familiale et à un récit d’apprentissage comme on en a tant vus. Il se double en effet d’une analyse très intelligente et, elle, plus originale, du défi rencontré par les deux minorités, juive et noire, à trouver leur place dans l’Amérique de Ronald Reagan et de Donald Trump.