A l’écart du reste du monde, dans une ferme suisse à flanc de montagne, une famille vit au rythme des saisons. Il a là, le père, un homme rude , qui n’aime pas tout ce qui ressemble à un divertissement ou à la culture. Seul compte le travail et ce que ce dernier peut rapporter… Son épouse semble plus compréhensive et ouverte, mais sa fragilité de constitution et sa soumission l’emportent sur ses bonnes intentions. Quant à leurs enfants, Belli (l’aînée) aurait aimé être institutrice, mais doit se contenter d’aider ses parents car il faut « rapporter plus que ce que l’on mange », sa vocation rentrée d’institutrice, elle la met au service de son frère, veille sur lui et lui apprend à lire et à écrire. …ce jeune frère c’est Le Bouèbe ( marmot en suisse allemand ) , un surnom plutôt que d’un prénom, né sourd et muet, et qui semble très perturbé. Perturbé peut-être moins par son handicap que par la façon dont celui-ci est perçu par sa famille. Pas vraiment maltraité, mais pas non plus totalement accepté dans sa différence. Pour sa mère il travaille comme un homme mais joue encore comme un enfant… Une tendre complicité lie les deux enfants…. Après une violente dispute avec le père, l’adolescent s’enfuit dans les alpages. Sa sœur le retrouve et une nuit à la belle étoile, devant un feu de camp, et au bord du rêve, ils brisent le tabou de l’inceste…Tourné au grand soleil , sous la neige ou dans une tempête de foehn, ce film est aussi économe en dialogue que généreux en plans larges de toute beauté…Sans beaucoup de commentaires, il exalte la vie d’une simplicité biblique , dans la nature, loin de la loi des hommes…Jusqu’à ce que le ressort tragique soit armé… mais nous n’en dirons pas plus. L'Ame sœur est une œuvre étrange et envoûtante, l’équilibre n’est jamais aisé à trouver lorsqu’on réalise une œuvre qui réussit à traiter avec délicatesse d’un sujet aussi risqué. Jamais L’âme sœur ne fait preuve de maladresse ou de complaisance. Au contraire, la finesse, l’intelligence et la pudeur sont là à chaque instant pour orner une histoire qui se distingue par une force et une vérité psychologique de chaque instant. La vision des alpages transfiguré par les quatre saisons, les travaux de la ferme, le mélange de motifs primitifs et de moments surréels, font de ce film un poème païen aussi prenant qu’insolite…. Le sens du cadre qui transforme des images à priori banales en natures mortes dignes des grands maîtres de la peinture, l’interprétation d’une très grande justesse, toujours naturelle, la musique qui intervient avec parcimonie mais sait se montrer oppressante, tout cela fait un film à nul autre pareil, sans doute le meilleur jamais réalisé par le cinéaste suisse Fredi Melchior Murer, qui reste toutefois peu connu en France…le film est sorti en 1985, il a remporté le Léopard d’Or à Locarno en 1986. Il ressort dans une version restaurée, il n’est hélas distribué que dans un seul cinéma parisien, Le Reflet Médicis…Allez le voir avant qu’il ne quitte cet écran…C’est certainement l’un des meilleurs films que j’ai vu depuis longtemps…