Dans la continuité du film d’Henri Colpi Une aussi longue absence (1961), Bouli Lanners s’empare de la thématique de la perte de mémoire comme élément central du mélodrame, ici singulièrement revisité dans la mesure où ce dernier s’excuse, s’estompe, apparaît en deçà des mots prononcés, dans les regards tenus de Millie, dans l’attente insoupçonnée de Phil. La pudeur du long métrage est accentuée par la rencontre de deux personnages que tout séparait, depuis l’origine géographique – l’un est belge, l’autre écossaise – jusqu’à la morphologie et au style vestimentaire et musical : Phil affirme un corps lourd et velu, orné de tatouages à la signification inconnue, là où Millie apparaît serrée dans des vêtements austères, la silhouette fine. Même leur profession les sépare : lui est ouvrier agricole, constamment en plein air, elle travaille dans une agence, constamment enfermée. Il s’agit alors, pour Nobody Has to Know, de composer des espaces privés où, loin des autres qui, sur l’île, se connaissent tous, se retrouver pour se (re)conquérir : la voiture, métaphore de la marche de l’existence, la petite maison avec ses disques vinyles, ses grandes fenêtres ouvrant l’intime sur l’extérieur.
La magnifique photographie de Frank van den Eeden, ainsi que la piste musicale « Wise Blood » du groupe Soulsavers, apportent une poésie d’abord détonante compte tenu de la distance des protagonistes, puis peu à peu synchrones, comme si elles devançaient leur union, anticipaient la réunion de leur main respective un jour de deuil, alliance des contraires qu’incarne une clausule puissante. Un très beau film qui atteste le talent de cinéaste de Bouli Lanners.