Que dire en quelques paragraphes de ce film, tiré d'une nouvelle du prolifique Haruki Murakami, dont la richesse mériterait.... tout un colloque! Ryusuke Hamaguchi, qui revivifie la délicatesse et la profondeur du grand cinéma japonais d'autrefois, Ozu, Mizoguchi, aime réaliser des films divisés en chapitres. Senses: 5 chapitres; Asako I et II: Asako I et Asako II, et ici aussi il y a deux chapitres bien distincts (séparés d'ailleurs par le générique) qu'on pourrait tout aussi bien appeler Yûsuke I et Yûsuke II.
Premier chapitre : un couple de quadragénaires très aisé (bel appart...), très branché (Yûsuke -Hidetoshi Nishijima- est metteur en scène et acteur, Oto - Reika Kirishima- est scénariste pour la télévision) et toujours très amoureux. Après l'amour, ou même pendant, Oto aime imaginer la suite des scénarios fantastico /érotiques qu'elle va proposer: "dans une vie antérieure elle était une lamproie.... qui ne posait les pièges de sa bouche à ventouse que sur des pierres..." Le "couple idéal", dont on apprend qu'ils ont perdu une petite fille de 4 ans et qu'ils n'ont pas voulu d'autre enfant. Pourtant, en rentrant inopinément, Yûsuke trouve dans son lit le charmant et très jeune Takatsuki (Masaki Okada), acteur dans un film d'Oto, ce qui semble le laisser assez indifférent. Mais Oto meurt brutalement d'une hémoragie cérébrale. Fin de la première partie, drame bourgeois: le mari, la morte et l'amant.
Dans la seconde partie, Yûsuke part à Hiroshima animer un atelier qui va conduire à la mise en scène d'Oncle Vania, une mise en scène novatrice puisque les acteurs (japonais, chinois ou coréens) s'exprimeront chacun dans leur langue.... y compris la langue des signes (coréenne.... très expressive, un joli ballet dansé par les mains) puisque Sonia est jouée par une muette. Et le veuf a la désagréable surprise de découvrir parmi les postulants Takatsuki, mû par une envie plutôt malsaine de travailler avec Yûsuke.
Yûsuke a choisi un hôtel éloigne, au bord de la mer. Or, les règles sont inflexibles: pour des raisons d'assurance, Yûsuke ne doit pas conduire sa voiture, mais il l'adore, cette voiture, une Saab turbo deux portes d'un rouge pétant (mais où diable ont ils retrouvé cette merveille??) et il supporte mal de se voir attribuer de force un chauffeur. En l'occurrence, une chauffeur, Misaki (Toko Miura) une jeune fille mutique, sauvage, mal à l'aise avec les autres, qui ne sait faire qu'une chose dans la vie: conduire. Dont on comprendra que l'enfance a été très difficile.
Le film dure trois heures. Est il trop long? L'hypocrisie bien pensante voudrait que l'on s'écrie: non bien sûr! En fait, si. Car une thématique secondaire de cette seconde partie c'est: comment jouer Tchekhov aujourd'hui? Comment représenter Tchekhov? et les scènes de travail sont vraiment longues. Un quart d'heure de moins aurait permis peut être de mieux apprécier la splendeur de la fin.
Petit à petit, on a compris que le "couple idéal" de la première partie vivait sur des fêlures. Ce sont deux écorchés qui partagent la Saab, deux écrasés par une culpabilité qui ne les quitte jamais. Et qui, peut être, vont s'épauler et revivre un peu moins mal, continuer à vivre, comme Sonia et l'oncle Vania....
C'est magnifique, fort, puissant, subtil. C'est clair: Hamaguchi est un très grand.