En l’espace de seulement quelques années, Ryusuke Hamaguchi est devenu ce qu’on appelle une “bête de festival”, dont chaque projet est attendu et scruté avec attention par tout le gotha cinématographique international. Quoique personnellement plus intéressé par le cinéma de genre que par le cinéma dramatique, celui de Hamaguchi me semblait mériter une attention particulière de ma part : après tout, le dernier Japonais à avoir été considéré de la sorte, Hirokazu Kore-Eda, est devenu un de mes réalisateurs de chevet tous genres confondus. Quant à ‘Drive my car’, il s’agit de l’adaptation en trois heures de quelques dizaines de pages écrites par le grand romancier Haruki Murakami, soit le cheminement d’un homme tout au long d’un processus de deuil. Il est impossible de résumer un tel film, étranger à toute forme d’action et de péripéties, qui décrypte avec minutie les infimes évolutions et rapprochements qui animent ses personnages, aussi vais-je me contenter d'en expliquer le titre, qui en révèle déjà suffisamment.. La voiture en question, c’est une vieille Saab 900 à laquelle le personnage principal, le metteur en scène Yusuke Kafuku, tient tout particulièrement mais que, pour des questions d’assurance, il est obligé de laisser conduire par une jeune femme alors qu’il prépare six mois durant une adaptation multilingue d’Oncle Vania de Tchekov au théâtre d’Hiroshima. Ces trajets solitaires en voiture étaient pour lui l’occasion de répéter la pièce, sa défunte femme l’ayant enregistrée sur cassette en laissant des espaces de silence pour qu’il puisse poser ses propres répliques : depuis le drame, enfermé dans l’habitacle du véhicule, écouter cette voix d’outre-tombe lui permettait aussi de ne pas se résoudre à couper le dernier lien qui le rattachait à la morte, et il ne voit donc pas d’un très bon oeil l’irruption involontaire de cette inconnue dans ce moment très intime pour lui. Restreint à petit nombre de situations (trajets en voiture et répétitions), ‘Drive my car’ a tous le temps de développer ses personnages, tous aussi secrets et réservés les uns que les autres, quitte même à ne lever le voile sur certains d’entre eux que pour le laisser retomber avant qu’on ait pu former une opinion définitive. Il joue aussi beaucoup sur le symbolique à travers l’argument des répétitions théâtrales, lieu privilégié d’expression des émotions, dont l’agencement et l’évalution sont ici confiées à un homme qui se refuse à la pleine compréhension de la mort de sa femme et de beaucoup d’autres choses qui la concernaient. Même si, personnellement, le monde du théâtre en toile de fond, surtout quand il prend autant de place, m’a toujours laissé de marbre, beaucoup de choses m’ont intéressé et même séduit dans ce film d’une grande sensibilité, qui rentre pleinement dans la catégorie d’un “grand cinéma” dans lequel aucun élément visuel, thématique ou de langage n’a été laissé au hasard. Ceci dit, la durée démesurée du film, couplée aux réserves personnelles évoquées plus haut font que je ne peux pas réellement prétendre de cette séance qu’elle a constitué une “bonne soirée”. Aussi lisible soit-il (ou plutôt, si généreux en métaphores et possibilités d’interprétations de ces dernières qu’il est impossible de passer systématiquement à côté de toutes !), ‘Drive my car’ n’en reste pas moins une proposition dramatique d’auteur, austère et peu accessible au grand-public : ce n’est absolument pas un film primé à Sundance, qui cherche à se rendre accessible un peu à tout le monde, avec un assaisonnement High-concept ou une pointe d’humour. Ici, c’est le spectateur attentif qui devra parcourir intégralement le chemin qui mène à la vision du réalisateur. Vous voilà prévenus.