Miguel, réalisateur de deux films, dont l’un inachevé, a du mal à joindre les deux bouts. Il accepte de se rendre sur un plateau d’une émission télévisuelle de personnes portées disparues. Il y a plus de 20 ans, il tournait un film avec son ami et grand acteur espagnol, Julio Arenas. Ce dernier s’est volatilisé avant la fin du tournage. A l’époque, on ne retrouva de lui que des vestiges de sa vie ; sa voiture, une paire de chaussures et sa longue veste au bord de l’océan.
Fermer les yeux et tenter de se souvenir ou non, d’être ou de ne plus être, le film espagnol nous emporte dans un voyage intime. Fermer les yeux pour tenter de se concentrer sur les paroles d’une chanson, de celles qui unissent les cœurs. La musique tout comme les odeurs, possède ce pouvoir de laisser s’échapper de la mémoire la plus enfouie, des trésors qu’on imaginait plus posséder. Elle a cette sensualité magique de nous faire voyager en nous-mêmes vers d’autres époques de notre vie.
Ce film d’une grande retenue, nous entraîne au plus près de ce qui nous construit intimement en tant qu’être humain et dans notre altérité. Mais aussi et surtout, il touche à l’essence même du cinéma. Un acteur donne vie à son personnage, il opère un dédoublement de personnalités pour nous faire croire en lui. D’autres films ont mis en scène cet essentiel qui fait cinéma. « La rose pourpre du cœur » de Woody Allen, dans lequel à contrario, le personnage traversait l’écran pour vivre une autre vie que la sienne. Il s'échappait dans le champ de la toile sous nos yeux, de celle inventée pour lui par le scénariste.
Julio Arenas tournait avant de disparaitre un homme en passe de recouvrir sa vie d’avant, s’il parvenait à retrouver une adolescente à Shangaï. Il entrait dans le château de Triste-le-Roi, à l’entrée du jardin, une sculpture au double visages, opposé l’un à l’autre.
Fermer les yeux et retrouver son enfance dans la chanson d’un parent, les ouvrir en grand pour tenter de percevoir les mots oubliés d’un couplet à côté d’un vieil ami, fermer les yeux dans un dernier souffle sous des doigts chéris ; le film nous embarque par petites touches délicates au plus près de cette intimité qui vient unir les êtres les uns aux autres.
Le film porte en lui la nostalgie romanesque de la grande époque du cinéma italien. Grande époque que vit aujourd’hui depuis plusieurs décennies le cinéma espagnol, tant par ses propositions multiples d’une grande richesse cinématographique que par la diversité des sujets abordés.
Fermer les yeux (Espagne – 2h49) de Victor Erice avec Manolo Solo, José Coronado, Ana Rorrent, etc.