En 1967, alors que le monde était au commencement d'une véritable ébullition culturelle, Luis Bunuel réalisa "Belle De Jour", oeuvre au sujet épineux, s'attaquant aux fantasmes sexuels d'une bourgeoise insatisfaite. Celle-ci, frustrée, décide de concrétiser sa libido dans une maison close où elle peut s'offrir aisément à des inconnus. Malgré son propos assez provocateur pour l'époque, il ne s'agit pas d'un film d'obsédé se servant du septième art pour évacuer ses désirs. Certes, il nous envoie une bonne dose de libertinage, n'hésite pas à s'adonner au sado-masochisme et à la scatologie sans en exclure le voyeurisme pur et dur (une scène particulièrement) mais il le fait sans rien montrer, avec une pudeur (censure ?) surprenante pourtant ô combien efficace. Le caractère très rêveur et surréaliste de l'oeuvre trouve un écho encore plus grand dans la suggestion (qui fait régulièrement naître l'imagination chez le spectateur), d'autant plus amplifié par le découpage très précis des différentes séquences et leur construction narrative troublante (peu d'indices pour distinguer le vrai du faux) bien que très sèche (on observe des récurrentes ruptures de ton, par ailleurs très efficaces). "Belle De Jour", s'il peut paraître désuet aux yeux de certains du fait que le synopsis très racoleur est visuellement soft n'en demeure pas moins une passionnante et brillante réflexion sur la place du fantasme aussi bien dans le couple (et ce qu'il apporte en bien comme en mal) que d'un point de vue individuel (comment naît-il, se manifeste-t-il, peut-on passer à l'acte spirituellement ou physiquement par simple envie ?). On peut étendre ces interrogations à la métaphore de l'actrice et du cinéma, se demandant qui est l'objet de quoi, dans quel but, qu'est-il autorisé de montrer, d'évoquer ? Riche, complexe et souvent magnifique (mise en scène très propre), "Belle De Jour" est un film très important, à voir et revoir en passant outre une interprétation à mon sens moyenne. Remarquable.