Excellente surprise que ces "Soeurs fâchées". Avec ce premier long-métrage, Alexandra Leclère a réussi un film beaucoup plus subtil que le titre un peu lourdingue ne le laissait supposer. A la faveur d'un rendez-vous avec un éditeur, Louise, la provinciale, monte à Paris, accoutrée d'un bob imperméable assorti au ciré et d'une longue écharpe en laine grossière doublement enroulée autour du cou. Pas franchement distingué mais pratique, parfaitement adéquat à la grisaille humide ambiante. Expansive et généreuse, elle s'enthousiasme sans retenue des beautés de la capitale et des retrouvailles avec sa soeur, Martine, venue l'accueillir sur le quai de la gare. "Tu repars quand ?" : ne partageant pas du tout la joie de sa cadette, l'aînée envisage comme un véritable calvaire la cohabitation avec elle dans son luxueux appartement haussmanien. De nature bienveillante, le coeur sur la main, Louise aura bien besoin de son petit costume de matelot pour essuyer la pluie de brimades et de vexations que sa soeur, aigrie, déversera sur elle avec une cruelle injustice durant tout son séjour. Et cela avec d'autant plus de méchanceté qu'avec sa façon d'y aller et d'avancer sans se poser de questions, sans se laisser entraver par les amarres des conventions, Louise lui renvoie comme un miroir la vacuité de son existence. Catherine et ses bonnes joues rondes est parfaite dans son rôle de provinciale extravertie qui croque joyeusement la vie. Elle exprime ses émotions, parle avec les gens, s'intéresse à eux, respire à pleins poumons vitre baissée à la portière d'un taxi, se délecte de champagne, mange avec gourmandise, pleure à l'Opéra, fonce sur le dance floor pour "Another one bites the dust", aux toilettes chez Grasset... Des deux soeurs, c'est bien sûr la plus sympathique. Une fois encore, Isabelle Huppert se glisse dans la peau d'une bourgeoise frigide, rôle qu'elle interprète à la perfection. Si elle nous paraît évidemment beaucoup moins sympathique, la performance est égale. Martine devrait être comblée : un mari qui l'aime -mais qu'elle ne sait pas aimer (excellent François Berléand)-, un beau petit garçon, un train de vie très au-dessus de la moyenne, une vie sociale riche. Pourtant, elle n'est pas épanouie et ressent un mal-être profond. Autocentrée, elle fait une telle fixation sur ce qu'elle n'a pas qu'elle en devient jalouse et incapable d'apprécier ce qu'elle a. On aurait envie de citer Prévert pour la prévenir de ce qu' "On reconnaît le bonheur au bruit qu'il fait quand il s'en va".