Dans une scène a priori anodine, deux gangsters regardent Nosferatu, de Murnau, au cinéma. Au moment où l'un s'apprête à partir, l'autre lui lance : "Tu devrais rester, ils passent Frankenstein ensuite !". Dans le film de Ferrara, Nosferatu le vampire est évidemment Frank White, parrain de la drogue tout juste sorti de prison et qui porte bien son nom puisqu'il est joué par un Christopher Walken opaque et hiératique, et dont les dents -évidemment- sont ce qu'il a de moins blanc. Le vampire, c'est celui qui s'abreuve du sang des autres, et ici White n'absorbe pas le sang mais adopte quelquefois les attitudes, les codes et les pas de danse (toujours avec une classe folle, charisme hypnotisant de Walken oblige) des Noirs, ses parfaits opposés. La créature de Frankenstein, elle, est la population new-yorkaise, Salad bowl dont les composantes se retrouvent presque toutes parmi les flics et les voyous : afro-américains, donc, mais aussi latinos, Italiens, Chinois, Irlandais... À partir de ces deux pôles, Ferrara réalise un film somnambulique et glacé, hanté par un goût du décadent et du dandysme assez somptueux. Même quand le film s'oriente davantage vers un registre plus classique de film de gangsters, sa violence radicale et sa stylisation formelle le maintiennent toujours à des hauteurs élevées, où trône donc le "King" Frank White, figure ambiguë, mi-ange mi-démon, en quête d'une étrange rédemption mais voué à une éternelle solitude.