Douze ans avant que Spider-Man régénère les conventions du film super-héroïque et affole les compteurs, Sam Raimi (gros fan de comics) s'était déjà essayé au genre. Au départ envisagé comme une relecture contemporaine de The Shadow ou Batman, le projet va muter en pure création originale. Quatre scénaristes apporteront leur contribution afin de donner naissance à Darkman, le but étant de surfer sur le triomphe du Batman tout en se démarquant de l'univers rétro-noir proposé par Tim Burton. La tâche n'est pas facile, mais Raimi a démontré qu'il n'avait pas froid aux yeux quand il s'agit d'exploser les codes (coucou Evil Dead). Sans devenir le modèle espéré, la tentative débouche sur un prototype, par définition spécial et boiteux.
Sur le plan narratif, l'essai ne manque ni de personnalité ni d'entrain. Conçu comme une origin story, le long-métrage condense pourtant toutes les thématiques inhérentes aux justiciers (rapport identitaire trouble, vigilantisme,...) en 1h36. Cela implique d'aller à toute vitesse, mais la grande fluidité se cale sur le rythme de lecture d'un comic-book. Raimi dépouille l'intrigue jusqu'à ne garder que le strict nécessaire. Bien sûr, cela présente l'avantage de ne jamais ennuyer et d'apporter un peu de fraicheur (nouveau super-héros, nouvelles aptitudes, nouveaux gadgets). Et aussi de gros inconvénients, le déroulé s'accommode d'une poignée d'ellipses bizarroïdes et souffre de grosses tares techniques. Darkman ne se pose aucune entrave sur le spectaculaire, or les moyens ne sont pas encore adéquats.
Encore la première partie y va mollo sur les effets spéciaux, jouant plus la carte du délire assez (ré)créatif avec un sbire cul-de-jatte, le méchant au coupe-cigare ou le saccage du laboratoire. Mais après une demi-heure, le film devient visuellement affreux, parsemés de vilaines incrustations, d'effets de transparence archaïques ou de matte-painting (peintures sur cache) détectables au premier coup d'œil. Sam Raimi est mieux inspiré sur les angles de caméras et la pyrotechnie en réel, quoique le gros coup de vieux est incontestable. La gestion des environnements manque d'homogénéité entre les décors urbains et l'esthétique néo-brutaliste hérité du Robocop de Paul Verhoeven. Aux compositions, Danny Elfman passe en mode photocopie et recycle beaucoup de son travail chez Batman. Précurseur et pourtant anachronique.
La nature inconstante de Darkman lui donne malgré tout une cote de sympathie. La générosité de Raimi y est pour beaucoup évidemment, avec l'irruption de purs moments de screwball comedy (la porte-tambour) et d'humour noir avec un jeu de masque repris à l'identique dans Mission : Impossible 2. Le casting prend plaisir à l'aventure, merci donc à Liam Neeson, Larry Drake et Frances McDormand qui infuse beaucoup d'humanité à leurs personnages. Une première incursion qui pose pas mal de graines qui arriveront à floraison dans Spider-Man, mieux dosé et infiniment plus abouti techniquement. Ce qui rend l'essai toujours intéressant rétrospectivement.