Quand il met en scène avec « Le fils du pendu » en 1948, l’un de ses tous derniers films, Frank Borzage (1893-1962) est au sens propre du terme, un vétéran d’Hollywood. Il a en effet commencé sa carrière de réalisateur en 1913 à 20 ans par le court-métrage muet (24 au total jusqu’en 1916. En 1916, il entame à 23 ans sa véritable carrière dans le long métrage. Jusqu’en 1929, il met en scène des films de série quand en 1927, influencé par Wilhem Friedrich Murnau, débarqué récemment, à Hollywood, il réalise quatre mélodrames qui sont autant de chefs d’œuvre visuels et narratifs dont « L’heure suprême » qui lui vaut d’être en 1929 le premier réalisateur à recevoir un Oscar tout comme sa formidable actrice Janet Gaynor, elle aussi oscarisée. Grâce à sa maîtrise technique, le parlant ne lui pose aucun problème et lui- vaudra même un deuxième Oscar en 1932 pour « Bad Girl », mélodrame sur fond de crise sociale. Viendront ensuite « L’adieu aux armes » (1932), « Désir » (1936), « La tempête qui tue » (1940) ou « Pavillon noir » (1945) qui seront autant de succès qui toutefois ne lui redonneront pas le lustre de sa période dorée de la fin du cinéma muet. Il est donc sur le déclin quand il est recruté par Republic Pictures, studio de seconde zone plutôt spécialisé dans le western de série B. Sur un scénario écrit par le futur réalisateur Charles F. Haas à partir d’une nouvelle de Theodor Strauss, « Le fils du pendu » se veut un mélodrame noir situé dans une bourgade rurale et traitant de l’impossibilité pour certains d’échapper à un destin qu’ils n’ont pas choisi. Ici un jeune homme (Dan Clark) dont le père a été pendu à la suite d’un assassinat qui depuis son enfance est l’objet de railleries et d’une mise à l’écart qui ont gravement entaché sa personnalité de jeune adulte devenu frustre et asocial. Un jour, n’en pouvant plus, il tue le fils (Lloyd Bridges) d’un banquier qui est en réalité son principal tortionnaire depuis l’enfance. Par crainte de subir le sort funeste de son père, le jeune homme cache le corps. Le film se concentre alors sur le tourment de Danny Hawkins qui se voit soudain une communauté de destin avec son père, se croyant possiblement victime d’un atavisme familial. Peu aidé par Dan Clark, son acteur principal dont le jeu compassé semble souvent en décalage, sorte de Paul Muni sans le talent de celui qui fut un inoubliable « Scarface » (1935) chez Howard Hawks, Frank Bozarge ne sait visiblement pas comment traiter efficacement une intrigue plutôt fade dont il ne parvient au final qu’à ne faire ressortir le simplisme de situations peu crédibles et d’enchaînements souvent téléphonés. On sent bien malgré tout que l’humaniste qu’était Frank Borzage ne veut pas condamner complétement un pauvre bougre que Dan Clark parvient à rendre parfaitement incohérent et désagréable à force de jouer mâchoires serrées face une charmante Gail Russel dont on ne parvient pas à croire qu’elle en pince pour celui qui fait tout pour se rendre détestable sans que l’on arrive à comprendre vraiment les fondements de son ressentiment. C’est donc plutôt chez les personnages secondaires que Borzage trouve son souffle notamment avec le formidable Rex Ingram qui incarne un dresseur de chiens de chasse empreint de sagesse et de compréhension ou chez Harry Morgan campant avec justesse un simple d’esprit sourd-muet, victime lui aussi de la cruauté de ses concitoyens. Le grand réalisateur s’il a su donner une certaine qualité esthétique à ce mélodrame bien trop manichéen dans son propos, n’a pu tirer le meilleur des faibles moyens mis à sa disposition. Les fins de carrière sont parfois difficiles à Hollywood.