En 1966, Peter Brook et sa Royal Shakespeare Company adaptent pour le cinéma la pièce allemande de Peter Weiss qu'ils ont déjà montée sur scène avec succès. Ils en conservent le titre à rallonge, The Persecution and Assassination of Jean-Paul Marat as Performed by the Inmates of the Asylum at Charenton Under the Direction of the Marquis de Sade. Titre abrégé finalement en Marat-Sade pour le commun des cinéphiles... Ouf. Cette reconstitution imaginaire, par Sade, des derniers jours de Marat, offre une confrontation des idées de l'un et de l'autre sur les tenants et aboutissants de la Révolution de 1789, et plus largement sur la conception de la nature, de l'homme et du pouvoir. Sade voit dans l'après-Révolution le dépérissement de l'individu, la mort du libre arbitre, l'uniformité, la faiblesse d'un État sans contact avec l'individu, tout en étant inattaquable. Il met en scène une population qui n'est jamais sortie de sa pauvreté, qui réclame ses droits à la liberté et qui conteste la mainmise sur les affaires d'État de profiteurs et de manipulateurs. Sur le banc des accusés : Marat, en qui une partie de cette population voit un tribun et un dictateur, au point d'éveiller les pulsions meurtrières d'une jeune Normande, Charlotte Corday. Marat continue de croire aux idéaux révolutionnaires au nom de l'ordre et de la raison, là où Sade ne voit dans la nature et dans l'homme que destruction et indifférence.
En faisant entendre toutes ces voix, dans un cadre représentant les bains de l'asile de Charenton, en total huis clos, Peter Brook offre un étonnant morceau de cinéma expérimental, porté par un sens étourdissant de la joute verbale et par une énergie folle, exutoire, outrancière. Entre réflexions intellos et séquences chantées/dansées aux accents de comédie musicale violente et grotesque, le réalisateur fascine et déroute. Son spectacle est original, puissant, exigeant. Mais aussi un peu assommant et étouffant sur la longueur, malgré les variations de rythme et les bonnes idées de mise en scène pour exploiter le huis clos. Oeuvre unique et inclassable, donc, dans la filmo d'un auteur non moins unique et inclassable.