Avis sur Le Héros

Le héros est fragile et solitaire. Il est également faible et entrevoit tristement les rencontres qu'il a faites et les gens qu'il a déçus. Superbe film sur le cinéma et sur la "vedette" qui doit vivre dans une sphère pour exister et ne peut pas se mêler à la foule, tel cette dernière scène où il accepte le renoncement à l'amour peut-être.

Quand j'adore un film de Satyajit Ray, du genre la trilogie "Apu" ou "La Grande Ville", j'adore de chez j'adore... Mais quand ça ne marche pas, ben ça ne marche pas... Ça a été malheureusement le cas avec "Le Héros".
L'idée de départ, une star de cinéma adulée qui fait un trajet en train pour aller chercher un prix et qui y fait quelques rencontres, est très prometteuse, mais hélas l'ensemble est trop lent et trop bavard, et ceci dès le début, pour qu'on ne soit pas tenté de décrocher très vite. Et pourtant, le sujet paraissait intéressant...
Les acteurs sont convaincants et les séquences entre le protagoniste et la jeune journaliste, peu fan du cinéma national, d'un magazine féminin ne manquent pas de saveur, mais ce sont les seules choses que je préfère retenir de ce film qui m'a ennuyé.

Le Héros est un de ces films grinçants, ironiques et même parfois méchants (comme le terrible La Déesse 1960 avec la même actrice sublime) signés par Satyajit Ray (1921-1992), le plus grand cinéaste indien, un des plus grand cinéaste de tous les temps, et également un des plus importants intellectuels de l'histoire du Bengale. La grande star du cinéma indien des années 60, Uttam Kumar, joue le rôle d'une star de Bollywood, cynique, avide, alcoolique et inquiet de perdre sa notoriété. Il rencontre dans le train pour Dehli une jeune journaliste féministe, si belle qu'il doit toujours éviter son regard tout en lui disant qu'elle n'est que jolie : évidemment c'est Sharmila Tagore (son grand père était un neveu du grand Tagore) qui joue, peut-être la plus belle des actrices fétiche de S Ray. Une fois ivre, l'acteur confie à la journaliste sa vie faite de trahisons et de renoncement, mais par pitié, spoiler: elle ne garde pas l'interview.
. Ce portrait est une critique des stars, une réflexion sur le cinéma et, à travers une femme comme souvent chez S Ray, la traduction d'un message humaniste sur la nécessaire bonté entre les êtres humains et la nécessaire fidélité à ses origines. Poète, musicien, écrivain, calligraphe, graphiste Satyajit Ray était son propre scénariste (toujours en anglais puis en bengali avant la traduction éventuelle en Hindi) et le musicien de beaucoup de ses films. Son opérateur Subatra Mitra a donné à son cinéma en noir et blanc un style naturellement profond et contrasté. Parmi ses 45 films, il y a trois chefs d'oeuvre du cinéma mondial qui ont beaucoup influencé Coppola, Scorsesse, Wes Anderson et tant d’autres : Charulata (le destin d'une femme indépendante au début du XXème, d'après Tagore 1963), Le Monde d'Apu (son film emblématique proche du néoréalisme 1959) et peut-être le plus grand film sur la musique: Le Salon de Musique (d'apèrs une nouvelle très fameuse de Tarasankar Bandyopadhyay 1959).

Le Héros est un film à revoir absolument. Lente prise conscience d'un acteur de cinéma de sa propre fragilité, progressivement mise en relief par la perspicacité d'une rédactrice de revue féminine, et par ses propres rencontres, rêves, et souvenirs, tout cela dans un seul trajet de train avec tous les détails, objets, et personnels des Indian Railways dans les années soixante. Les dialogues sont géniaux, rien n'est forcé, le trait n'est jamais trop appuyé, l'acteur à succès est très humain, sensible aux détails, attentif aux personnes (l'enfant; la jeune fille malade; le vieillard intransigeant...), souvent charmant dans sa sincérité et son honnêteté intellectuelle. La mobilité permanente de la caméra et les gros plans, tout cela dans un noir et blanc lumineux, sont tout simplement prodigieux. Tous les acteurs sont beaux et attachants, grace à ces plans rapprochés sous des angles parfaits. Un des tout meilleurs films de Satyajit Ray, méconnu.