Avis sur Abraham Lincoln

Vous vous demandez à quoi pourrait ressembler une page Wikipédia réalisée en 1930, "Abraham Lincoln" est une réponse parfaite à cette question.
Première scène, Abraham Lincoln naît dans une cabane de bûcheron le 12 février 1809, OK, seconde scène Abraham Lincoln débarque à New Salem où il va foutre une raclée à la terreur du bled avant de boire dans un tonneau, OK, ensuite romance peut-être pas historiquement exacte avec Ann Rutledge, OK, etc..., etc... En fait, ce film est juste composé d'une suite de scènes sans la moindre intensité dramatique, sans le approfondissement dans les différents personnages qui croisent la route du futur ou déjà président des Etats-Unis. Par exemple, Ulysse Grant fume comme un pompier, ...ah oui, à un moment il gagne une bataille décisive lors de la Guerre de Sécession mais on passe très vite sur cela..., mais ce que l'on retient surtout ici c'est qu'il fumait comme un pompier. Il y a rien, c'est juste une page Wikipédia sur de la pellicule.
D'un yes-man de l'époque qui aurait été embauché parce qu'il avait eu deux semaines de libre dans son planning, une telle oeuvre n'aurait pas été dérangeante. On l'aurait oubliée et on serait tout de suite passé à autre chose. Mais le problème c'est que D. W. Griffith n'était pas du tout mais alors pas du tout un yes-man qui avait deux semaines de libre dans son planning, mais l'un des cinéastes les plus importants de toute l'Histoire du cinéma, un des pionniers du Septième Art, à qui on doit beaucoup de la grammaire cinématographique. Un brillant réalisateur qui a donné des œuvres aussi fortes et originales qu'"À travers l'orage" ou encore "Intolérance". Le voir quasi-terminer sa carrière (c'est son pénultième film !!!) sur une oeuvre aussi vide, aussi inconsistante, en plus sur un sujet aussi puissant et passionnant que la vie du grand Abraham Lincoln, ça fait un peu mal. En l'occurrence, on comprendra que je préfère retenir uniquement le géant de l'époque du cinéma muet.

Enfin un premier film qui parle après des décennies muettes réalisées par l’homme-orchestre de tableau vivant, racontant la vie du président de cette jeune nation, un père fondateur élu en pleine crise politique, sociale, économique, c’est la guerre civile de sécession.
Les États-Unis sont scindés en deux sur la carte, l’histoire connue sous l’angle de l’esclavage qui les marquèrent profondément, l’intrigue bataille terrestre menée par les états confédérés d’Amérique aux généraux représentés.

La figure militaire tacticien des célèbres mots fléchés, c’était les soldats gris pro-esclavagistes, ensuite les uniformisés bleus anti-esclavagistes, unionistes Nordistes contre réfractaires Sudistes coûte que coûte au péril héroïque, c’est la romance américaine dans ses nombreuses fictions.
L’origine d’un fils de bûcheron modeste, maman malade rendant son dernier souffle, le petit est meurtri, c’est un début familial dramatique, ça devient bagarreur en écumant les bars puis le premier amour brisé encore maladivement jeune emporté par cette éprouvante vie.

Mariage, enfant, vœu de politicien pour sceller l'histoire pathétique, la citation d’une démocratie est le gouvernement élu du peuple, par le peuple pour le peuple, ça fait très Abrahamique Lincolniste, pas d’étalage de tonne sur sa biographie courte elliptique.
Pour une rare réalisation parlante fusionnée en noir et blanc avec la révolte des esclaves, en la personne de D.W. Griffith, la fin baisse les rideaux du théâtre des plaisanteries cruciales éteignant les lumières apercevant l’assassin comploteur.

En pente descendante depuis le début des années 1920, David W. Griffith voit peu à peu sa carrière décliner et elle s'arrêtera en 1931. Après avoir brillé dans le muet, il réalise deux films parlants, dont le premier est consacré à la vie d'Abraham Lincoln.

Contrairement à John Ford peu de temps après ou Spielberg récemment, Griffith décide de s'attaquer à toute la vie de Lincoln, de sa naissance dans une cabane en bois jusqu'à son assassinat au théâtre Ford de Washington, déjà présent dans sa fresque "Naissance d'une Nation". Biopic assez classique dans la conception, il passe assez vite sur les premiers aspects de sa vie pour se concentrer sur la place qu'occupera Ann Rutledge, son premier amour (bien que ce point-là soit possiblement exagéré par rapport à la réalité selon plusieurs historiens), ainsi que sur ses années de présidences durant la guerre.

Alors, le plus gros problème de cette adaptation de la vie de Lincoln, c'est qu'elle veut trop en faire, la vie du seizième président des États-Unis est assez riche et Griffith passe un peu trop vite sur certains éléments de sa vie, ce qui est bien dommage et il aurait gagné à se concentrer sur moins d'éléments. De plus on peut reprocher au film de manquer d'émotion et de dramaturgie, pourtant le point fort dans les plus belles œuvres de Griffith. Ici on a l'impression que tout est récité comme une dictée voire un cours d'histoire sans vraie puissance dramatique.

Néanmoins tout n'est pas à jeter, loin de là. Pour une première dans le parlant, Griffith s'en sort très bien, mettant bien en avant la diction de ses acteurs et notamment Walter Huston qui impose sa présence à Lincoln. Dans sa mise en scène, Griffith est assez classique mais reste efficace bien que parfois maladroit et l'ensemble est bien rythmé et les ellipses sont bien gérées. Finalement l'attrait majeur de ce biopic se trouve dans la vie de Lincoln et de plusieurs points importants qui sont rendus intéressants, telle la façon dont Ann Rutledge l'a marqué (dépression...), ses élections, comment il a géré la guerre et sa façon de la voir ou encore sa fin, le tout marqué par certaines scènes mémorables.

Bref, si dans l'ensemble ce biopic retraçant toute la vie de Lincoln semble trop dicté, voulant mettre en place toute la vie de Lincoln sans en avoir le temps et manquant de vraie puissance dramatique, il n'en reste pas moins efficace et intéressant sur plusieurs points. Après cela, le talentueux Griffith ne tournera plus qu'un film en 1931 et mourra en 1948 dans l'indigence...

Malgré un jeu très théâtral (qu'on ne peut qu'excuser étant donné l'année de réalisation), le film est finalement plaisant grâce à la mise en scène (nombreux mouvements de caméra dynamiques) et à la qualité des dialogues (même si l'histoire est très sommaire). D'ailleurs, le prestation des acteurs est meilleure par la suite qu'au tout début.
Quoi qu'il en soit, le film m'intéressait surtout pour voir le passage de Griffith au parlant et je trouve qu'il s'en sort plutôt bien, une fois passé le début du film.