Avis sur L'Oeil au-dessus du puits

Le film est tourné en Inde, au Kerala (33 millions d’habitants pour 38 000 km², dont la capitale est Trivandrum et qui a le plus fort taux d’alphabétisation en Inde). Le titre fait référence à une fable où des singes, poursuivis par des tigres, se réfugient au-dessus d’un puits où grouillent des serpents et où perle du miel dans les herbes. Comprenne qui pourra ! Cela ressemble à un documentaire de « Connaissance du monde » mais sans commentaires, avec une succession d’images dont le point commun est l’apprentissage ou l’initiation : écoles d’arts martiaux, de danse, védique, scène de théâtre ; le tout entrecoupé d’images de colliers de fleurs, de façades, de boutiques, de lavage du linge ainsi que de rues bruyantes et sales…Cela dure quand même 94 mn ! Une reconversion est possible en interlude lors de panne de télévision comme autrefois ou pour favoriser l'endormissement chez les insomniaques !

Venant à l'instant de voir ce film, et de prendre connaissance de l'unique critique qui lui était faite sur ce site, j'ai jugé utile de mettre quelques mots sur l'expérience de cinéma à laquelle nous convie Johan Van der Keuken. Convier me semble en effet dire le plus justement la démarche de ce cinéaste : il s'agit d'une invitation à se laisser porter, à contempler, à se laisser enivrer de sons, de chants, de couleurs, de contrastes, de corps en mouvement, de grâce en somme. Une parenthèse sensible dans une contrée indienne qui tend immanquablement, elle aussi, à courir vers toujours plus de modernité. Van der Keuken n'omet pas de le souligner, sa poésie s'inscrit bien dans le monde réel, l'unique, dit-il en commentaire, que nous connaissions. Cela pourrait pourtant être un rêve, dit-il aussi, et c'est bien ce qui rend son regard d'autant plus fort. Qui s'attend à être pris par la main dans une action prête à l'emploi ferait mieux de passer son chemin. Van der Keuken livre une belle leçon cinématographique, loin, très loin même du consommable, du vu et du revu voire du facile. Il fait un cinéma onirique et sensible, en plus d'être cinématographiquement engagé. On notera la singularité de ses plans et surtout la prouesse du montage qui, comme souvent dans ses films, semble comme contenir un ingrédient mystère qui fait que....je n'oserais pas mettre ces choses là ensemble ; Van der Keuken le fait, et à chaque fois, c'est une claque ! Je recommande vivement tout en mettant en garde celles et ceux qui s'attendent à être passifs devant leur écran. Ce n'est ni un reportage ni un énième téléfilm condescendant sur les pauvres indiens, mais un documentaire de création qui fait du bien aux yeux, aux oreilles et plus généralement, à la pensée.