Je ne sais par quoi commencer pour faire les louanges de cette passionnante mini‑série. La qualité du scénario peut-être. Wolf Hall ne revisite pas l'Histoire, mais donne à la voir autrement : les faits sont véridiques, mais nous adoptons ici le point de vue de Thomas Cromwell. C'était osé de la part de l'auteure des romans, Hilary Mantel, d'adopter la subjectivité de l'éminence grise d'Henri VIII, perçu habituellement comme un homme mauvais (imaginez le public français obligé de s'identifier au cardinal de Richelieu, lui aussi précédé d'une sale réputation !). Son portrait romancé est-il crédible au regard de l'Histoire officielle ? J'avoue que cela m'interpelle tout de même un peu. Mais après tout je ne suis pas versée en histoire de la Renaissance, et peut-être la vérité se situe-t-elle entre le portrait à charge que font la plupart des historiens de Cromwell et celui, plus positif, qu'en font la romancière et le scénariste. Quoi qu'il en soit, si l'on considère Wolf Hall comme une fiction à part entière, cela donne une formidable étude du pouvoir qui comporte de nombreuses résonances avec notre époque, et qui présente une galerie d'excellents personnages. Si dans les romans (Wolf Hall et Bring up the bodies) Cromwell est le narrateur, la série n'use point de ce procédé éculé au cinéma et à la télévision, mais le protagoniste est de (presque) toutes les scènes. Et il s'avère être un personnage beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît au premier abord. De basse extraction, il ne doit sa réussite qu'à son intelligence et à son charisme. Pas un charisme flamboyant (il n'est pas un jeune premier), il incarne plutôt « la force tranquille ». Nul ne saurait dire quelles pensées se cachent derrière le visage souvent impassible de cet homme de l'ombre, derrière ces regards soutenus et énigmatiques (une fois arrivé au bout de la série, on ne peut s'empêcher de se demander si on a bien interprété la signification de certaines scènes – par exemple, son intérêt pour Jane Seymour). Il n'a pas besoin d'utiliser la force pour impressionner ses adversaires, il lui suffit de quelques phrases habiles pour que ceux-ci perçoivent la menace et soient décontenancés. Il est intraitable, mais en même temps on sent qu'il a conscience de franchir la ligne rouge. Condamner la reine de manière aussi déloyale le répugne, mais il craint la versatilité du roi Henri, qui peut très bien le vouer lui aussi au billot s'il n'agit pas selon sa volonté (le dernier plan est à cet égard on ne peut plus éloquent). Mais Cromwell est un « survivor », depuis son plus jeune âge. C'est donc un personnage pétri de contradictions, car il est à la fois moderne (favorable à ce que la Bible soit accessible dans les langues vernaculaires, révolté par la dépravation des prélats et des moines…) et serviteur d'un despotisme archaïque. Son engagement pose question, et en même temps ce Cromwell est attachant (il dégage une certaine douceur malgré la dureté dont il est capable, c'est un bon père de famille). Un personnage des plus subtils, magistralement incarné par Mark Rylance. Tous les personnages sont traités avec la même exigence. Damian Lewis, dans le rôle d'Henri VIII, est certes inquiétant, mais montre une certaine vulnérabilité. Claire Foy est une Anne Boleyn arriviste, souvent méprisante, mais qui finit par susciter l'empathie. Thomas More (joué par Anton Lesser), qui refuse de cautionner l'autorité qu'Henri s'est octroyée en matière religieuse et le mariage avec Anne Boleyn, est également ambigu, et ses scènes d'affrontement intellectuel avec Cromwell sont déroutantes. L'intrigue est très dense (je dois dire que j'ai eu un peu de mal à m'y retrouver dans les personnages), d'autant qu'il n'y a pas beaucoup d'action au sens spectaculaire du terme (ce dont on se rend à peine compte !), mais c'est magnifiquement filmé. L'éclairage à la bougie, qui donne une impression de réalisme extrême et offre de magnifiques clairs obscurs, la reconstitution des décors et des costumes, donnent l'impression d'évoluer dans un tableau d'époque. La musique est belle. La mise en scène parfaitement maîtrisée. C'est une franche réussite.