Eleanor Shellstrop (Kristen Bell) vient de mourir dans un tragique et stupide accident de caddie. Elle se retrouve donc illico dans la salle d’attente du« good place », le bon endroit, celui où est envoyé l’ensemble des personnes ayant mené une vie vertueuse. Or, de son vivant, Eleanor avait une attitude très éloignée de ce qualificatif. Égoïste, injurieuse, irrespectueuse, elle cochait en réalité toutes les cases qui auraient dû l’amener directement au «bad place », plus communément appelé « l’Enfer ». Il y a donc erreur sur la personne. Eleanor en prend vite conscience mais ne tient absolument pas à être découverte. Pour cela, elle devra composer avec quelques personnages qui auront leur importance dans son nouveau quotidien. Tout d’abord, Michaël (Ted Danson), l’architecte des lieux très fier de sa création, ne doit absolument pas découvrir la vérité. Dans ce monde, chaque individu est aussi accompagné de son « âme soeur », l’être aimé censé nous correspondre idéalement. Pour Eléanor, il s’agit de Chidi, un philosophe érudit incapable de prendre la moindre décision tant les dilemmes moraux auxquels elles le confrontent le tétanise. Et enfin, il y aura ses plus proches voisins dont fait partie Tahani Al-Jamil, une femme mondaine d’origine indienne qui a à la fois œuvré dans le caritatif tout en étant proche du gratin des stars internationales. Celle-ci est évidemment accompagnée de son âme sœur, Jason Mendoza, un moine tibétain qui a fait vœu éternel de silence. Mais chacun a ses secrets et la situation va vite devenir beaucoup plus complexe que ce qu’elle ne le laissait présager.
Comme pour la plupart des sitcoms, les personnages ont ici des traits de caractère très marqués. Ainsi, chacun apportera des éléments comiques spécifiques auxquels le spectateur se sentira plus ou moins proche selon sa sensibilité. Mais il faudrait être sacrément difficile pour n’esquisser aucun sourire devant l’un de ces portraits cocasses. Et s’il y en a pour tous les goûts, on peut quand même saluer la performance tout en naïveté égocentrique de Jameela Jamil dans le rôle de Tahani et de Manny Jacinto dans celui de Jason, l’un des personnages les plus tendrement stupide que le monde des séries a pu inventer. Les seconds rôles sont également remarquables : que ce soit la juge fan de « the leftovers » gérant les contentieux inexistants entre les deux « places », Shawn, le gardien du «bad place » et surtout Janet, cette « non femme » présente dès qu’un des résidents a besoin de son aide. Mais indépendamment de la performance d’acteurs, la qualité d’une sitcom dépend en grande partie de ses dialogues. En cela aussi, mission accomplie. Rien que le fait que dans le « good place », les gros mots soient imprononçables (au grand désespoir d’Eléanor), est un élément comique désopilant. Il est juste dommage de passer à côté des si nombreuses références à une culture spécifiquement américaine qui nous échappe.
En plus de ces personnages formidablement campés et de ces dialogues incisifs, l’intrigue évolue de manière tout à fait cohérente et surprenante, ce qui n’est pas toujours le cas dans les sitcoms. Là, on a une vraie histoire avec de réels enjeux et certains retournements de situations sont dignes des meilleures séries dramatiques. Celle qui apparaît à la fin de la première saison en est un parfait exemple. De même, si lors des premières saisons, le cadre des événements se déroule uniquement dans le « good place », un décor théâtral au ton sucré et aux couleurs vives, à partir de la saison 3, les auteurs ont eu la bonne idée d’élargir les lieux narratifs brisant ainsi une routine qui aurait pu devenir lassante. Malgré ces efforts, il y a clairement des longueurs et la série aurait pu condenser son action sur 3 saison car au final, il y a tout un tas de passages dispensables dont on se souvient peu après le visionnage, même si on ne s’ennuie jamais. De plus, l’humour, s’il ne baisse pas en intensité, est très codé et devient un peu répétitif dans la durée. Les meilleurs blagues, ou du moins les plus efficaces, sont souvent les plus courtes.
Ce qui rajoute enfin à la qualité de cette série est qu’elle traite aussi de vrais sujets, de sujets sérieux et elle le fait avec beaucoup d’inventivité et de maîtrise. Il faut dire que Chidi, inspiré du vrai philosophe kantien Thomas Scanlon, distille des discours propres à faire réfléchir sur la pertinence de nos actions fortement liées à nos valeurs morales. Comment juger de la bonté d’une personne ? Comment devenir une bonne personne et sur quels critères ? Dans quels buts effectuons-nous nos actions altruistes? Après renseignement, elle parle donc de conséquentialisme, de déontologisme et d’éthique de la vertu. Mais n’ayez pas peur, tout cela est retranscrit de manière tout à fait comique comme durant cet épisode traitant du dilemme du tramway qui consiste en une situation concrète simple : entre 5 personnes qui nous sont inconnues et une autre que l’on connaît (ou un enfant, ça marche aussi), qui choisirons-nous d’écraser ? La mise en images de ce concept philosophique est pour le moins… explosive! Alors pourquoi s’empêcher de réfléchir quand il nous est proposé de le faire dans la bonne humeur ? Si vous souhaitez en savoir plus sur le sujet, n’hésitez pas à visionner cette vidéo passionnante qui a en plus le mérite de ne pas spoiler la série (https://www.youtube.com/watch?v=9FFI9bwYuK0&t=473s).
Tout cela nous amène forcément à la question essentielle de « The good place » qui est de savoir si on peut légitimement considérer qu’une vie humaine est suffisante pour orienter éternellement un individu vers les plaisirs paradisiaques ou vers la la damnation éternelle. Et il va se trouver que la réponse (et le dénouement dans son ensemble) apportée par la série est d’une poésie et d’une sensibilité vraiment surprenantes au vue de la tonalité humoristique de l’ensemble. Elle conclue en tout cas magnifiquement cette sitcom un poil trop longue, mais qui, en plus de sa conclusion douce amère, prouve qu’il est possible de concilier intelligemment philosophie et comédie. Pour former un tout cohérent et délicat. Alors au final, l’enfer, ce sont les autres ou pas ? Vous avez quatre heures...
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