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    Pirates des Caraïbes 2 et 3 : un enfer pour le réalisateur Gore Verbinski
    Olivier Pallaruelo
    Olivier Pallaruelo
    -Journaliste cinéma / Responsable éditorial Jeux vidéo
    Biberonné par la VHS et les films de genres, il délaisse volontiers la fiction pour se plonger dans le réel avec les documentaires et les sujets d'actualité. Amoureux transi du support physique, il passe aussi beaucoup de temps devant les jeux vidéo depuis sa plus tendre enfance.

    "Pirates des Caraïbes : la malédiction du Black Pearl" fut un énorme succès, inattendu tant le pari était risqué. De quoi motiver Disney pour presser Gore Verbinski de tourner en même temps les 2ème et 3ème volets. Et dans la douleur...

    Walt Disney Pictures / Jerry Bruckheimer Films

    Si Pirates des Caraïbes : la malédiction du Black Pearl fut un gros succès en salle en 2003 avec près de 655 millions $ de recettes, on oublie qu'à cette époque, l'entreprise était jugée très risquée, pour ne pas dire casse gueule...

    L'angoisse profonde de Disney

    Disney était alors très inquiet, au point même que ses dirigeants tentèrent de débrancher le projet alors que le film était en phase de pré-production. Un film de pirates ? "La pire idée qui puisse être !" se rappelle Gore Verbinski, dans une passionnante (et longue) interview publiée sur le site Collider en mars 2021.

    Outre les grosses réserves de la firme sur le choix de l'acteur principal sous les traits de Jack Sparrow, Johnny Depp, qu'elle n'envisageait pas du tout à la tête du navire, Disney était aussi hanté par le terrible échec du film L'île aux pirates de Renny Harlin, sorti en décembre 1995 aux États-Unis.

    Tentative de ressusciter les films d'aventures exotiques portée par le tandem Geena Davis et Matthew Modine, le film est malheureusement connu pour être un des plus gros flops du cinéma américain, avec à peine 10 millions $ de recettes au box office US et 18 petits millions à l'international. Avec 97 millions $ de pertes, soit 174 millions $ si l'on ajuste à l'inflation, c'est même un des trois plus gros échecs au box office américain, avec La Porte du Paradis et Le 13e guerrier. En plus d'avoir durablement plombé la carrière de son réalisateur et son épouse actrice...

    Pirates des Caraïbes : le Secret du Coffre Maudit
    Pirates des Caraïbes : le Secret du Coffre Maudit
    Sortie : 2 août 2006 | 2h 31min
    De Gore Verbinski
    Avec Johnny Depp, Orlando Bloom, Keira Knightley
    Presse
    3,5
    Spectateurs
    3,9
    Voir sur Disney+

    Avec ses cinq citations à l'Oscar, dont celles du Meilleur acteur pour Johnny Depp, des Meilleurs maquillages et des Meilleurs effets visuels, quatrième plus gros carton au box office américain en 2003, c'est peu dire que Disney fut plus que largement soulagé de voir le succès de Pirates des Caraïbes.

    De quoi justement donner envie à la firme aux grandes oreilles de passer rapidement commande à son nouveau cinéaste fétiche, avec la mise en chantier d'un Pirates des Caraïbes 2 et 3. Et le plus rapidement possible tant qu'à faire, histoire de continuer à faire résonner le tiroir caisse. Les deux épisodes se tourneront donc en même temps...

    Un tournage (et une saison) en Enfer

    "Il voulait deux films le plus vite possible" lâche Gore Verbinski dans l'interview fleuve. "Pendant que vous êtes ici [NDR : sur le tournage de Pirates des Caraïbes : le secret du coffre maudit], ils tournent une scène du 3e volet avant même que vous arriviez sur le plateau. [...] Nous avons tourné la fin de Pirates 3 cinq jours après le début du tournage de Pirates 2, car nous quittions cet endroit. Nous ne devions plus tourner à Port Royale. Nous devions bouger sur une autre île, sur Exumas, pour faire nos plans [NDR : une île située dans les Bahamas], puis nous avons dû aller en République Dominicaine, puis à Saint-Vincent et les Grenadines, juste pour tourner quelques jours. Il y avait une scène qui devait être tournée à la toute fin de Pirates 3, prévue sur 5 jours, que nous avons dû faire en deux, sans même savoir ce qu'il en était du script de Pirates 3, qui n'était pas prêt !"

    Walt Disney Pictures

    Un tournage d'autant plus compliqué, déjà et comme le souligne le réalisateur, que le script de Pirates 3 n'était même pas encore ficelé. En fait, c'était même davantage des ébauches d'idées qu'un script en bonne et due forme. "Nous étions en assez bonne forme sur Pirates 2 au niveau du script. Nous l'avions à 80 %, mais Pirates 3 n'était que des cartes qui sont devenues un plan... Et pas de pages, aucune page. Donc en fait nous avons dû écrire nuit après nuit après nuit, nous quittions un endroit, nous devions écrire la scène finale..."

    Pirates des Caraïbes : Jusqu'au Bout du Monde
    Pirates des Caraïbes : Jusqu'au Bout du Monde
    Sortie : 23 mai 2007 | 2h 49min
    De Gore Verbinski
    Avec Johnny Depp, Orlando Bloom, Keira Knightley
    Presse
    3,1
    Spectateurs
    3,7
    Voir sur Disney+

    Un process tellement compliqué, fastidieux, et où tout se mélange, que Verbinski fut obligé de créer des sortes de "war room" ; une pour chaque film : "sachant dans quoi nous nous embarquions, Ted Elliott et Terry Rossio [NDR : les scénaristes] avaient leurs bureaux à côté du mien chez Disney, et j'ai aussi eu besoin de deux autres bureaux que j'avais appelés les "story room". Les gens parlaient budgets mais on n'avait pas de script, donc on utilisait des cartes, des photos de lieux de tournage, dessins préparatoires... [...]

    Je fais ce process là pour tous mes films, honnêtement, sauf que généralement, vous faites ça avant d'avoir le feu vert ! Là, le feu vert à peine donné, vous aviez déjà les marteaux et les clous qui s'agitaient à la construction des décors. [...] J'entrais et déambulais dans le bureau de Pirates 2, discutais à propos de la forme globale du film, tandis que dans la pièce d'à côté, celle de Pirates 3, je décrivais ce qui se passerait en théorie au niveau de l'histoire, qui trahirait qui..." Un script en work in progress permanent donc, exercice ô combien délicat, surtout vu l'ampleur pharaonique de ce projet de tournages en simultané.

    Des décors dévastés

    Le chemin de croix ne s'est pas arrêté là pour Gore Verbinski. Sur les 300 jours (!) nécessaires pour mener à bien les tournages simultanés, "nous n'étions pas censés faire une pause. Nous avons eu des retards sur un réservoir qui n'a pas été construit à Exumas. Ce n'était tout simplement pas prêt. Lorsque nous sommes arrivés à l'heure prévue pour filmer la scène avec le réservoir, il était encore en construction". Contraint de faire malgré lui une pause, Verbinski décide de faire déjà un travail de montage sur les rushes, histoire de gagner un peu de temps...

    Walt Disney Pictures

    "Nous avons dû changer toute la méthodologie de tournage, puis ce retard nous a poussés jusqu'à la saison des ouragans. Nous avons été touchés par un ouragan, nous avons perdu beaucoup de décors. Çela a donc créé un deuxième hiatus, c'est pourquoi le troisième film n'avait plus que 10 semaines de montage pour être capable de tenir les délais par rapport à la date de sortie. Ainsi, toute la post-production du troisième film a duré 10 semaines" explique-t-il.

    Décaler la post-production de Pirates des Caraïbes 3 ? Hors de question !

    La pression était terrible. Envisager de signaler à Disney que la production pourrait être hors délais ? "Ce n'était même pas une option" lâche Verbinski, qui ajoute que la deadline de la date de sortie "était ce qui importait le plus" au studio.

    Le journaliste lui fait alors part d'une rumeur qui courait à l'époque, selon laquelle le cinéaste aurait considérablement maigri durant la post-production de ces deux films en raison du stress généré. Réponse de l'intéressé : "ah non, c'est tout le contraire, j'ai pris 13 Kg. Vous ne dormez pas, littéralement. Je me souviens encore de Dick Cook [NDR : à l'époque, président de la division Walt Disney Studios de la Walt Disney Company et des filiales associées jusqu'en septembre 2009] qui n'arrêtait pas de nous demander : 'est-ce qu'on va tenir les délais ? Est-ce qu'on va tenir la deadline ?' Il y avait tout à faire : le mixage, l'étalonnage, les effets visuels, le montage... Les choses habituelles. Mais vous vous retrouvez dans un calendrier de post-production impossible, épuisé, parce que vous avez approuvé les effets visuels et passé des nuits à couper et monter, pendant que vous tournez encore. [...] On était en mode survie".

    Toujours est-il que, passé cette douloureuse expérience qui lui a rajouté quelques cheveux blancs, Gore Verbinski n'a pas été mécontent de passer le relais pour l'épisode suivant, Pirates des Caraïbes : la Fontaine de Jouvence. Le temps de faire une grosse pause, et ressortir du placard un vieux projet qui datait d'avant la trilogie Pirates des Caraïbes. L'histoire d'un caméléon anthropomorphe du nom de Rango.

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