Mon compte
    Alien Isolation : entretien avec Fabien Dubois, le réalisateur de la série digitale

    Réalisateur de la série digitale "Alien : Isolation" commandée par la Fox et basée sur le brillant jeu éponyme sorti en 2014, le français Fabien Dubois a répondu à quelques unes de nos questions concernant ce projet assez atypique.

    Creative Assembly / Sega / Fox

    Développé par le solide studio britannique Creative Assembly, davantage réputé pour sa saga de jeux de stratégie historique Total War, c'est peu dire que le jeu Alien : Isolation, sorti en 2014, fut un électrochoc. Sommet de claustrophobie et de tension, c'était un chef-d'oeuvre vidéoludique; un titre exceptionnel qui parvenait non seulement à atomiser jusqu'au souvenir les ratages précédents, et même éclipser d'autres jeux de la franchise, mais se hissait sans problème vers les cimes du Survival Horror. Le titre miraculeux qu'on osait plus espérer depuis des années pour cette franchise. Un jeu qui rendait enfin justice à l'une des plus grandes licences de l'histoire du cinéma.

    En prévision du 40e anniversaire du Alien de Scott, la Twentieth Century Fox et IGN ont annoncé en février dernier le lancement sur la chaîne Youtube de IGN d'une série digitale Alien : Isolation, composée de 7 vidéos, comportant notamment des Cut Scenes du jeu mais aussi de nouveaux éléments fournis par la Fox.

    Derrière ce projet et cette réalisation, une équipe emmenée par un talent français : Fabien Dubois. Nous avons eu le plaisir de lui poser quelques questions sur ce projet commandé par la Major, dont voici d'ailleurs, pour mémoire, la bande-annonce :

    AlloCiné : Parlons de vous avant tout. Pouvez-vous évoquer votre parcours, votre formation, vos créations précédentes ?

    Fabien Dubois :  Je viens du live et Alien : Isolation a donc été ma première excursion dans l’univers de l’animation. Comme beaucoup de jeunes cinéastes aujourd’hui, j’ai majoritairement appris sur le tas, en basant ma formation sur la réalisation de court métrages auto-financés et sur la participation à un maximum de tournages pour une formation de terrain. Influencé par un cinéma allant de Shinya Tsukamoto à Kubrick en passant par Ridley Scott, Takeshi KitanoWim Wenders et Gus Van Sant; autant dire que j’aime les grands écarts cinématographiques. Je reste avant tout attaché à l’histoire et ses personnages quel que soit le style de film.

    En tant que réalisateur j’avoue me diriger plus facilement par passion vers de l’anticipation, de la science-fiction. L’un de mes premiers courts, High / Low, une quêtes de décibel à Tokyo, a remporté plusieurs prix en festivals, dont celui du meilleur film et meilleur réalisateur, ce fut un déclic et un encouragement à continuer de développer mes expériences en réalisation. J’ai par la suite réalisé plusieurs clips et formats courts (avec des projets comme un teaser du manga Akira ( visionnable ici ). En parallèle, et parce qu’il fallait payer mon loyer, je me suis professionnalisé dans le montage et les vfx, deux domaines où il était beaucoup plus facile de trouver du travail quand on sort de nulle part. Je me suis également rapproché de la réalisation publicitaire où j’ai pu développer une autre approche vis à vis du storytelling, où j’ai fait de belles rencontres et où j’ai surtout continué d’apprendre mon métier de réalisateur.

    Mon dernier court métrage en date Here we Are (dont la bande-annonce est visible ici), raconte l’histoire de deux étudiants scientifiques qui voyagent en Islande pour réaliser une expérience magnétique à grande échelle. Une expérience cherchant à prouver le postulat de base à savoir, qu’à une fréquence électromagnétique parfaite la gravité serait capable d’être altérée. Cette histoire plus ambitieuse aussi bien dans son fond que dans sa forme me permettait encore une fois de fusionner mes deux passions, le voyage et la science.

    Ayant investi la majorité de mes économies dans la production du film je n’ai pas suivi le même parcours “festivals” que mon premier court, j’ai mis a dispo le film sur internet pour une durée limitée afin de lui donner une vie. Quelques jours plus tard, alors que j’avais emménagé en Australie pour changer de vie et prendre un peu de recul, crise de la trentaine oblige, l’une des grandes agences d’Hollywood, UTA, m’a contacté pour me représenter. Je me suis rendu sur place afin d'officialiser la représentation et depuis je développe plusieurs projets de longs dont un que je suis actuellement en train d’écrire au moment même où je vous réponds, un long métrage fantastique d’anticipation, Trouble Will Find us.

    Qu'est-ce qui vous a amené à travailler sur ce projet de la série digitale Alien : Isolation ? Comment avez-vous travaillé avec la Fox ? Ce sont eux qui sont venu vous chercher ou l'inverse ? Vous avez aussi travaillé avec le studio créateur du jeu, Creative Assembly ?

    Le projet a été proposé par la 21st Century Fox et la société 21res au studio d’innovation français DV GROUP, suite à une rencontre aux Etats-Unis entre la division jeu vidéo de la Major, FoxNext, et des producteurs DV group présents sur place, qui étaient Antoine Cardon, Eric Fantone et Julien Mokrani. Quand le projet m’a été proposé, je rentrais tout juste en France et je n’ai pas hésité une seule seconde. Qui peut refuser un projet sur Alien ? Les relations avec la Fox ont été excellentes. Nous échangions régulièrement. C’était vraiment galvanisant de travailler avec les équipes américaines sur ce projet. Toute l’équipe avait bien conscience de participer à un projet atypique et ces échanges réguliers étaient essentiels pour garder une trajectoire claire et maîtrisée sur le projet tout en permettant d’intégrer une certaine liberté artistique à la série, notamment dans la déconstruction du storytelling et l’ajout de certaines séquences flirtant avec l’onirisme, Comme la séquence de la chute de Amanda dans un vortex dans l’épisode 7 [NDR : visible sur le concept art dans le diaporama].

    L’accord de Creative Assembly était géré par la Fox en amont du projet de série. Je n’ai malheureusement pas eu la chance d’échanger avec eux. J’admire le travail qu’ils ont pu faire sur le jeu et ses cinématiques. D’un point de vue technique, le jeu ayant quelques années déjà, nous devions repartir quasiment de zéro en capturant les scènes directement dans le jeu. Mais le matériel de base reste un excellent jeu.

    Cette série digitale va, j'imagine, évidemment au-delà d'un simple couper - coller des Cut Scenes du jeu. Comment avez-vous travaillé, notamment pour veiller à garder une cohérence de l'ensemble dans son storytelling ?

    Le projet a été, dès le début, voué à être un peu punk dans son processus de création : en raison de l’âge du matériel d’origine déjà qui poussait à devoir mélanger plusieurs technologies, plusieurs manières de travailler, cela représentait un énorme challenge et chaque membre de l’équipe a joué le jeu à 200%.

    Quand j’y repense, arriver au bout de ce projet revient du miracle. Maintenir une cohérence quelles que soient les techniques employées et lier ensemble plusieurs technologies avec le matériel d’origine a clairement été le plus gros du travail. On a travaillé avec plusieurs outils principaux : tout d'abord évidemment le jeu. Au vu du budget alloué, nous devions obligatoirement nous appuyer au maximum sur les cinématiques du jeu comme structure narrative et utiliser le gameplay de ce dernier comme fondation pour développer l’histoire, la marge de manoeuvre était donc limitée. Ainsi qu'un "tool",sorte d’outil virtuel permettant de décrocher la caméra du personnage de Amanda et de se balader librement dans le jeu (les décors du jeu devenant notre “set virtuel de tournage” dans lequel nous pouvions ainsi filmer réellement des scènes, choisir les cadres.

    Sur ce tool, DV group a développé une caméra virtuelle, un outil permettant de ramener du tournage live "traditionnel" en filmant dans le jeu comme si nous y étions, caméra au poing. Nos deux capture artists Thomas Lemoine et Lisa Almestoy ont passé des heures à traquer, piéger les créatures Gigeriennes avec cette caméra virtuelle afin de nous ramener les meilleurs plans possibles. Ensuite avec l’arrivé de notre chef monteur Romain Rioult, nous avons travaillé en flux tendu en liant intimement les parties capture d’images et montage.

    Le principal frein à ces captures était le personnage de Amanda ou plutôt son “absence de corps”. Alien Isolation est un FPS où toute l'action est en vue subjective. Décrochez la caméra du point de vue du personnage et vous vous retrouvez avec un personnage n'ayant que bras et jambes, pas de corps, pas de visage....il nous a donc fallu, accompagnés par une équipe de développeurs de DVgroup, organiser, malgré la timide économie du projet, plusieurs jours de tournage en motion-capture pour réinjecter le personnage d’Amanda dans les scènes jugées essentielles. Nous avons ainsi jonglé entre tournage motion capture et

    prise de vue virtuelle du jeu en lui même. Malgré un timing très serré, une technologie parfois capricieuse j'ai eu la chance d'être entouré de gens talentueux qui ont vraiment facilité mon travail.

    Quelle est ou quelles sont les difficultés ou les écueils à éviter quand on travaille sur un projet comme celui-ci ?

    Le storytelling d’un jeu vidéo est totalement différent du storytelling d’un film. Dans Alien : isolation, le stress, la peur vient principalement du fait que VOUS êtes le moteur de l’action, c’est le joueur qui décide de se cacher, qui doit fuir, se retrouve traqué, vous tremblez de réaliser une action, vous êtes immergé totalement dans l’histoire que vous faites évoluer par vos actions, vos choix. Le premier challenge est donc de trouver un moyen de réduire cette immersion d’une dizaine d’heures à une histoire de 70 min tout en gardant l’essence du jeu.

    Le jeu est un succès et les couloirs de la station Sevastopol ont déjà donné des sueurs froides à beaucoup de joueurs à travers le monde, donc le deuxième gros challenge était de proposer une nouvelle approche de l’histoire, un angle nouveau permettant à la fois de revivre l’aventure pour les millions de joueurs le connaissant tout en découvrant de nouveaux éléments, voir en découvrant pour la première fois Amanda Ripley pour certains. Pour ce deuxième challenge nous avons choisi d’entourer l’histoire interne du jeu d’un récit cadre (les séquences où Amanda est dans l’espace) qui nous permettait d’ajouter le point de vue d’Amanda sur sa propre aventure, de densifier sa backstory tout en nous permettant de brouiller les pistes temporelles et de rafraîchir le flow de la narration.

    Pourquoi ce choix de faire un découpage en 7 épisodes, au lieu d'un montage en "One shot » ?

    La Fox souhaitait présenter une série digitale plutôt qu’un court métrage, nous avons donc respecté cette unité de temps.

    Si j'ai bien compris lors de l'annonce du projet, il y a de nouveaux éléments visuels présents. Pouvez-vous développer ?

    Le travail a été séparé en deux parties bien distinctes. Le premier élément de base était de raconter l’histoire du jeu basée sur le moteur de ce dernier tout en respectant le scénario fourni par la FOX. La structure narrative étant liée au jeu et donc majoritairement aux cinématiques de celui ci pour les premiers épisodes de la série, il a fallu, dans un premier temps, accompagner ces cinématiques. Peu à peu, au fil des épisodes, nous nous sommes affranchis des cinématiques et nous pouvions bâtir notre propre langage basé sur les phases de gameplay capturées mais également sur notre proposition créative du “récit cadre” Le second élément de travail consistait donc à développer ce récit cadre, notre proposition créative, à savoir, le récit dans l’espace qui accompagne chaque épisode. Ce récit devient même l’élément principal du septième et dernier épisode, et permet ainsi de boucler la narration du jeu. Avec le concept artist, Andrea Chiampo, nous avons travaillé sur de nombreux artworks préparatoires allant du travail de Gustave Doré (notamment l’Enfer de Dante) à Satoshi-kon (Paprika), afin de pousser le concept de voyage intérieur et de distorsion de la réalité à son maximum. Ce concept de voyage intérieur était notre raccord organique entre souvenirs et présent dans la série. Un raccord qui se trouve intensifié dans les premières minutes de l’épisode 7. Toute cette nouvelle partie en animation a été conçu par Image in work, une société de post production basée à Paris.

    Dernière question : on parle d'une série digitale créée à partir d'un jeu exceptionnel. Un chef-d'oeuvre même. Mais y avez-vous joué et surtout l'avez-vous terminé ?

    Avant d’arriver sur ce projet j’avoue avoir très peu joué à Alien : isolation, je l’avais seulement fini en novice ....Le jeu remplit tellement sa promesse de peur, de stress. La fabrication de la série était telle que nous avons joué des mois durant, examinant chaque recoins, analysant chaque animation, nous connaissons le jeu par coeur et nous cherchions même à attirer l’Alien….assez improbable quand on connait le principe du jeu mais un Alien est assez capricieux quand on l’appel pour tourner sa scène....Depuis je me le suis refait en mode Nightmare et j’avoue avoir sursauté une bonne centaine de fois et m’être à nouveau retrouver en position foetal à pleurer. Ce jeu est indémodable et d’une efficacité rare !

    Portrait de Fabien Dubois, le créateur de la série digitale "Alien : isolation"

    Concept Art de Andrea Chiampo pour "Alien : Isolation"

    Concept Art de Andrea Chiampo

    Illustration de Stéphane Levallois pour la série digitale

    Illustration de Stéphane Levallois pour la série digitale

    FBwhatsapp facebook Tweet
    Sur le même sujet
    Commentaires
    Back to Top