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    Serpico, Bonnie & Clyde, E.T... Des monteuses de génie se cachent derrière ces chefs-d'oeuvre !
    Olivier Pallaruelo
    Olivier Pallaruelo
    -Journaliste cinéma / Responsable éditorial Jeux vidéo
    Biberonné par la VHS et les films de genres, il délaisse volontiers la fiction pour se plonger dans le réel avec les documentaires et les sujets d'actualité. Amoureux transi du support physique, il passe aussi beaucoup de temps devant les jeux vidéo depuis sa plus tendre enfance.

    Parce qu'il a été durant longtemps un des très rares postes ouvert aux femmes, le montage des films a accueilli avec bonheur au fil des décennies de très grandes dames du cinéma, oeuvrant dans l'ombre aux côtés des réalisateurs. Hommage.

    Universal Pictures

    "Le monteur est l'auteur final du film" disait le grand David Lean. A l'heure où les logiciels de montage comme Final Cut Pro, Adobe Premiere ou Avid permettent de faire à peu près tout et n'importe quoi, il fut un temps -jusqu'au milieu des années 1990 en fait- où tous les films étaient montés à la main. Dans cet exercice délicat, des femmes de légendes ont occupé ou occupent cette place de choix. La raison ? Pendant longtemps, dans l'industrie du cinéma, le poste de monteur fut en effet un des rares ouverts aux femmes. Hommage en images à ces très grandes dames du cinéma et de l'ombre, grâce à qui les cinéphiles du monde entier ont pu s'émerveiller dans les salles obscures.

    Thelma Schoonmaker

    Martin Scorsese entretient une relation quasi fusionnelle depuis 50 ans avec cette monteuse de légende : Thelma Schoonmaker, veuve du grand Michael Powell. "Thelma est LA femme en qui j'ai confiance" se plaît-il à dire à son propos. Petite ironie savoureuse : elle fut citée sept fois à l'Oscar du meilleur montage, et remporta trois statuettes. La première pour un montage et un film entré dans la légende du 7e art : Raging Bull; là où Scorsese devra attendre 26 ans avant de remporter son premier Oscar comme meilleur réalisateur pour Les Infiltrés. Exemple rare et magnifique de collaboration artistique, Thelma Schoonmaker, qui a monté tous les films du maître, a aussi le triomphe modeste. Très modeste même. "C'est merveilleux de travailler avec les images de quelqu'un qui comprend aussi bien votre travail" dit-elle à propos de Marty. Elle est tellement convaincue de cela qu'elle a même cherché plusieurs fois à lui donner l'Oscar qu'elle a gagné sur Raging Bull. En vain.

    Sally Menke

    Décédée accidentellement à l'âge de 56 ans en septembre 2010, Sally Menke était la monteuse fétiche de Quentin Tarantino. C'est elle qui monta tous ses films, jusqu'à Inglourious Basterds. Celle que Q.T. appelait "ma véritable collaboratrice" fut largement nourrie dans son travail par l'empreinte de Thelma Schoonmaker. Toutefois, si Scorsese et Thelma Schoonmaker commencent tous deux leur travail dès le début du tournage, Quentin et Sally ne se parlaient pas avant que le film ne soit intégralement en boîte. "Tout est une question de tension; donc vous suivez l'arc émotionnel du personnage à travers les scènes" disait Menke. "Le montage, c'est une question d'émotion, c'est impulsif, instinctif. Il faut juste suivre les émotions du personnage". Un principe que la regrettée monteuse a su merveilleusement mettre en pratique dès Reservoir Dogs, Pulp Fiction, ou encore, plus tard, Kill Bill.

    Anne V. Coates

    Le 8 mai 2018, à l'âge vénérable de 92 ans, s'éteignait une légende absolue du montage : Anne V. Coates. Celle qui se destinait de prime abord à être infirmière en Angleterre déploiera finalement son énergie dans le monde du cinéma, au cours d'une carrière s'étalant sur près de soixante ans, et plus d'une cinquantaine de films. Débutant en 1947 en tant qu'assistante monteuse, puis responsable du montage sur The Pickwick Papers en 1952, Anne V. Coates a été nommée pas moins de cinq fois aux Oscars. Mais elle remporta la statuette dès sa première citation, pour son immense et fabuleux travail sur Lawrence d'Arabie. C'est à elle que l'on doit un des plus grands Cut de l'Histoire du cinéma : celui où Peter O'Toole souffle sur une allumette, avant un Cut montrant un lever du soleil dans le désert. Inoubliable. "J'ai travaillé avec des réalisateurs de David Lean à David Lynch, de Carol Reed à Wolfgang Petersen" déclarait-elle en 2016, alors qu'elle recevait un Oscar honorifique pour l'ensemble de sa carrière. Et d'ajouter, facétieuse : "J'aimerai tous les remercier, pour tous ces bons moments comme pour ceux plus tatillons, et même ceux où ils m'ont gardé enfermée dans la salle de montage sept jours par semaine !" A 90 ans, cette infatiguable travailleuse oeuvrait encore dans sa salle de montage : son ultime travail est Cinquante nuances de Grey.

    Margaret Booth ( à droite), reçevant aux côtés de Olivia de Havilland un Oscar honorifique en 1978

    Née en 1898, Margaret Booth débuta sa carrière en 1915, sous la tutelle de D.W. Griffith. Lorsque ce dernier ferma ses bureaux à Los Angeles, Booth atterrit à la MGM, sous les auspices de Louis B. Mayer puis de Irvin Thalberg, qui aura l'idée de qualifier pour la première fois le travail de l'intéressée en tant que "monteuse de film". Exercant son talent sur 44 films, elle reçoit en 1936 son unique citation à l'Oscar, pour son travail sur Les révoltés du Bounty. En 1978, elle recevra un Oscar honorifique pour son exceptionnelle contribution à l'art du montage pour l'industrie cinématographique. Au terme d'une vie qui s'est littéralement confondue avec l'Histoire du cinéma, Margaret Booth s'éteint à l'âge plus que vénérable de 104 ans. Comme une belle et douce ironie avec celle qui partage la photo à ses côtés, Olivia de Havilland, également décédée à l'âge de 104 ans, en juillet 2020.

    Verna Fields

    "On l'appelait affectueusement entre nous "Mother Cutter". Elle était comme notre mère, elle cuisinait pour nous, elle nous racontait plein d'histoires sur son travail avec Peter Bogdanovich [...] C'était la personne la plus charismatique sur le tournage des Dents de la mer, avec Robert Shaw". C'est en ces termes que Steven Spielberg se souvient avec émotion de Verna Fields. Née en 1918 et diplômée de journalisme, elle commença sa carrière d'assistante monteuse en 1943. Au début des années 1960, elle enseigne le montage à l'Université de Californie du Sud, tout en commençant à travailler comme monteuse. Alors aspirants cinéastes en devenir, George Lucas et Steven Spielberg s'attachèrent à elle dès la fin des années 60, à l'époque du Nouvel Hollywood. Lucas lui confiera le montage d'American Graffiti; Spielberg celui de Sugarland Express, et, en 1975, celui des Dents de la mer. L'impact foudroyant du chef-d'oeuvre de Spielberg n'aurait certainement pas été le même sans le travail de Verna Fields, qui remporta d'ailleurs un Oscar pour ce film. En 1976, elle est même nommée vice-présidente chez Universal Pictures, poste qu'elle tiendra jusqu'à sa mort en 1982.

    Dede Allen

    En avril 2010 s'éteignait, à l'âge de 86 ans, l'immense Dede Allen, des suites d'une attaque cardiaque. Monteuse novatrice, elle débuta sa carrière comme coursière au sein de la Columbia, avant de passer à la section montage du studio. Débutant sa carrière en 1948 avec le film Because of Eve de Howard Bretherton, elle imprima sa marque dès 1959 sur le montage du film de Robert Wise, Le Coup de l'escalier, dans lequel elle avait calé son montage sur la musique. Travaillant au sein de l'un des rares départements comptant à peu près autant d'hommes que de femmes, Dede Allen acquit très vite une réelle notoriété. En 1961, elle signe le montage d'un autre chef-d'oeuvre, L' Arnaqueur de Robert Rossen, puis suivra America, America d'Elia Kazan. En 1967, elle entre dans la légende du 7e art pour la scène finale de Bonnie and Clyde, qui voit Warren Beatty et Faye Dunaway criblés de balles dans un guet-apens. 50 plans se téléscopent en 1 min, livrant un maelström foudroyant et bouleversant du chef-d'oeuvre d'Arthur Penn. Parmi ses nombreux films, on lui doit aussi les montages de Little Big Man (1970); de Abattoir 5, le brillant film de science-fiction de George Roy Hill; ainsi que trois collaborations avec Sidney Lumet dont les immenses Serpico et Un après-midi de chien. Nommée à la tête du département de post-production chez Warner en 1992, elle ne retourna sur la table de montage que huit ans plus tard avec Wonder Boys. A l'âge de 84 ans, elle fit son ultime montage sur Fireflies in the Garden.

    Carol Littleton

    Sans elle, les enfants du monde entier n'auraient certainement pas autant pleuré devant le final de E.T., et accessoirement pousser le chef-d'oeuvre de Steven Spielberg vers les cîmes du Box Office mondial, pour un long moment. Un travail de montage pour lequel elle a d'ailleurs obtenu une citation à l'Oscar; la seule à ce jour. "Elle", c'est Carol Littleton. Monteuse fétiche de Lawrence Kasdan (La fièvre au corps, Silverado, Wyatt Earp...), elle était aussi une grande amie et collègue très estimée de Dede Allen. "Alors que je la suppliais de venir sur le plateau, elle me répondait : "les monteurs ne vont pas sur les tournages ! Pour un monteur, rien n'importe plus que le film; c'est uniquement ce qui se passe dans la salle de montage avec la pellicule qui doit le préoccuper. Elle ne voulait pas être émotionnellement perturbée par quoi que ce soit sur le tournage, et ca été une grande leçon pour moi" disait Deden Allen la concernant. "Carol m'a aussi appris que le premier Cut est meilleur pour le film lorsqu'il vient d'abord du monteur, sans les idées du réalisateur. Depuis, je n'ai plus jamais tenté d'influencer un monteur d'une manière ou d'une autre, et lorsque je regarde un premier montage, c'est celui du monteur". Difficile de rendre plus bel hommage, de la part de celle qui a laissé une empreinte indélébile dans le 7e Art.

    Anne Bauchens

    Née en 1882, Anne Bauchens fut la monteuse attitrée de Cecil B. DeMille durant 40 ans. Depuis 1918, elle monta 41 films pour le cinéaste, et encore vingt autres pour d'autres réalisateurs. En 1934, la catégorie "meilleur montage" fut créée pour les Oscars, et Anne Bauchens fut la première à reçevoir en 1935 sa première citation sur les quatre de sa carrière, pour son travail sur Cléopâtre. Elle décrochera la récompense en 1941, pour Les Tuniques écarlates. Fidèle à Cecil B. DeMille jusqu'au bout, elle signera le montage des Dix commandements en 1956; ultime travail avant de prendre sa retraite. Dans son autobiographie parue en 1956, DeMille écrivait : "dans tous les contrats que je signe pour produire un film, une des clauses essentielles est que Anne Bauchens soit la monteuse. Ca n'est pas du sentimentalisme, ou du moins pas seulement du sentimentalisme. Elle est toujours la meilleure monteuse que je connaisse". Un bel hommage et éloge pour celle qui évoquait en ces termes son art du montage : "beaucoup de gens me demandent ce qu'est le montage. Je dirai que c'est une sorte de puzzle, excepté que dans un puzzle, les pièces sont déjà toutes prédécoupées selon différentes formes, et que vous essayez de les assembler pour en faire un tableau. Alors que dans le montage d'un film, c'est vous qui coupez vos pièces en premier, et les assemblez ensuite. Nous faisons un travail très individualiste. Deux monteurs ne se ressemblent pas. On doit se fier à notre instinct et à notre expérience passée".

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