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    "On ne peut pas poursuivre Dieu !" : le jour où Kirk Douglas a attaqué Disney en justice
    Olivier Pallaruelo
    Olivier Pallaruelo
    -Journaliste cinéma / Responsable éditorial Jeux vidéo
    Biberonné par la VHS et les films de genres, il délaisse volontiers la fiction pour se plonger dans le réel avec les documentaires et les sujets d'actualité. Amoureux transi du support physique, il passe aussi beaucoup de temps devant les jeux vidéo depuis sa plus tendre enfance.

    Sur le tournage de "20.000 lieues sous les mers" en 1954, Kirk Douglas avait apprécié Walt Disney, qu'il avait trouvé à l'écoute de l'équipe du film. Deux ans plus tard, les relations deviendront bien moins cordiales... Que s'est-il passé ?

    On ne dira jamais assez à quel point Kirk Douglas fut un immense acteur; une des toutes dernières étoiles d'un âge d'or d'Hollywood qui s'est éteinte à l'âge plus que vénérable de 103 ans, en 2020. Son apport au cinéma, immense, fut notamment couronné internationalement d'un César d'honneur en 1980, d'un Oscar d'honneur pour l'ensemble sa carrière en 1996, et d'un Ours d'Or d'honneur au Festival de Berlin en 2001.

    Lui qui tourna avec le Who's Who des metteurs en scène à Hollywood. La liste en donne même le tournis : Otto Preminger, Howard Hawks, Richard Fleischer, Elia Kazan, Vincente Minnelli, Anthony Mann, John Frankenheimer, Stanley Kubrick, Robert Aldrich, John Sturges, Jacques Tourneur, et tant d'autres encore...

    C'est justement sous la houlette du vétéran Richard Fleischer qu'il tournera en 1954 pour Walt Disney un des classiques absolus de sa filmographie, 20.000 lieues sous les mers; merveilleuse adaptation du classique de Jules Verne dans laquelle Douglas campait le fringant marin Ned Leland. C'est le premier film en prise de vue réelle à gros budget du studio Disney, qui sera d'ailleurs doublement oscarisé pour ce film.

    Douglas se souviendra avec plaisir d'un tournage agréable sur ce film ambitieux, saluant au passage un Walt Disney à l'écoute de l'équipe. Deux ans plus tard, les relations deviendront bien moins cordiales... Que s'est-il passé ?

    Filmé à son insu... ou pas

    Dans son autobiographie publiée en 1988, Le Fils du chiffonnier, Kirk Douglas écrivait : "j'ai été choqué du culot de Disney à exploiter mes enfants". Quel était l'objet du courroux de l'acteur au point d'en garder rancune trente ans après les faits ?

    En 1956, Kirk Douglas et ses deux jeunes enfants, Joel et Michael, décidèrent de passer un samedi après-midi au sein du Holmby Hills estate appartenant à Disney, qui était un gigantesque manoir doté de pas moins de 17 salles de bains, 8 chambres, piscine et court de tennis, mais aussi practice de golf, une bibliothèque... Un Resort pour des guests ultra VIP. Un paradis aussi pour les enfants, qui pouvaient même chevaucher un petit train à l'échelle 1/8, qui circulait au milieu d'un parc de plus de 1,6 hectares.

    Capture d'écran Youtube

    Peu de temps après, le 4 avril 1956 précisément, l'acteur eut la mauvaise surprise de se découvrir juché sur le petit train en question, jouant les chefs de locomotive avec une horde de gamins, dans un épisode du programme Disneyland, une émission TV de Disney baptisée Where Do the Stories Come From.

    Douglas passa rapidement de la surprise à la colère. "j'ai écrit à Walt Disney une lettre lui disant que j'aurai préféré qu'il n'utilise jamais les images de mes enfants et de moi dans un but commercial", précisant qu'il reçu en retour une lettre d'excuses.

    "Vous ne pouvez pas poursuivre Dieu !"

    L'incident aurait pu en rester là. Mais à peine deux mois plus tard, le 6 juin 1956, l'émission fut rediffusée, incluant toujours les images incriminées par l'acteur... Douglas fut hors de lui et, sur les conseils de son avocat, décida d'attaquer en justice non seulement Walt Disney en personne, mais aussi les studios, la chaînes de tv ABC, et même les marques qui sponsorisaient le programme. Pour Douglas, c'était une question de principe, et dans l'éventualité où il remporterait le bras de fer judiciaire qui s'annonçait, il projetait de donner les indemnités gagnées à une oeuvre de charité.

    Mais peu de temps avant le procès, il fut taraudé par le doute. "J'ai pensé : "qu'est-ce que je suis en train de faire ? Il y a des gens dans notre profession – Bob Hope, Walt Disney – qui ne peuvent pas faire de mal". Malgré les objections de son avocat, il a abandonné les poursuites : "Je doute que j'aurais pu m'en sortir. Vous ne pouvez pas poursuivre Dieu !"

    Une défense maladroite

    Si Douglas s'estime être offensé par cette affaire, certains furent dubitatifs : l'examen de la séquence vidéo en question ne semblait pas du tout permettre l'identification de ses deux fils, pas plus qu'ils ne sont explicitement nommés...

    L'examen attentif de la plainte s'est aussi révélé étrange : il demandait non seulement la coquette somme de 400.000 $ à titre de dommages / intérêts, mais aussi 15.000 $ en "compensation du travail effectué" dans les images incriminées. Difficile de plaider l'atteinte à la vie privée quand on réclame en supplément une somme pour un soi-disant travail effectué... Les émoluments demandés correspondaient de surcroît aux cachets qu'il négociait pour monnayer ses apparitions plus ou moins furtives...

    Capture d'écran Youtube
    Image extraite de la séquence incriminée. Devant Douglas se tient Walt Disney.

    De son côté, Disney n'était pas exempt de tout reproche dans cette affaire. Si le studio accepta de prime abord de retirer la séquence en question lors d'une prochaine rediffusion, ce ne fut pas le cas lorsque le programme fut effectivement rediffusé en juin 1956, malgré ses engagements; par erreur ou négligence.

    Walt Disney se fendit de ce commentaire, qui résonne un peu comme une réponse du berger à la bergère : "L'apparition entière de Monsieur Douglas à la télévision a duré 26 secondes, et il est inconcevable que l'image d'un homme qui est apparu si souvent dans des films, des magazines et à la télévision puisse être endommagée sur un écran de télévision pendant ce laps de temps".

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