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    C'est l'un des films les plus émouvants de 2023 : Past Lives, une histoire d'amour contrarié à voir au cinéma
    Maximilien Pierrette
    Un feel-good movie avec une BO aux petits oignons, un drame situé dans l’Amérique rurale, une pépite qui prend le pouls des États-Unis, il aime se pencher sur la dernière sensation venue de l’autre côté de l’Atlantique.

    Présenté dans les festivals de Berlin et Deauville avant de séduire les membres du Club AlloCiné, "Past Lives - Nos vies d'avant" est l'un des films les plus émouvants de 2023. Et sa réalisatrice Celine Song en parle avec nous.

    En 2023, l'Ours d'Or du Festival de Berlin a été remis à Sur l'Adamant, nouveau documentaire du Français Nicolas Philibert. Mais d'autres films, même repartis bredouilles, ont su se faire remarquer.

    Comme Past Lives, premier long métrage réalisé par Celine Song, qui a ensuite conquis la presse américaine avant d'émouvoir les spectateurs du Festival du Cinéma Américain de Deauville.

    Et c'est en Normandie que nous avons fait connaissance avec cette cinéaste aussi enthousiaste que son film est déchirant et réalisé avec beaucoup de simplicité et de pudeur.

    Il y est question de Nora (Greta Lee) et Hae Sung (Teo Yoo), amis d'enfance que la vie a séparés lorsque la première a quitté leur Corée natale pour les États-Unis, avant que leur amour n'ait pu se déclarer.

    Mais ils se retrouvent, douze et vingt-quatre ans plus tard, pour se mettre à réfléchir (et nous avec) sur les questions de vies antérieures, d'occasions manquées et de ce qui aurait pu être.

    Un drame en trois temps, à cheval entre deux cultures mais dont la grande force est de savoir parler à chacun(e), et que sa réalisatrice et scénariste évoque passionnément à notre micro.

    Past Lives – Nos vies d’avant
    Past Lives – Nos vies d’avant
    Sortie : 13 décembre 2023 | 1h 46min
    De Celine Song
    Avec Greta Lee, Yoo Teo, John Magaro
    Presse
    4,0
    Spectateurs
    4,2
    louer ou acheter

    AlloCiné : Les réalisateurs ont souvent l'habitude de raconter leur propre histoire dans leur premier film. Est-ce aussi le cas pour vous, et pas seulement parce que Nora écrit une pièce de théâtre et que vous avez été dramaturge ?

    Celine Song : Il m'a été inspiré par ce moment de ma vie : j'étais dans un bar de l'East Village à New York, assise entre mon amour de jeunesse, venu de Corée du Sud, et mon mari.

    Je faisais office d'interprète entre eux et, à un moment, je me suis rendue compte que je faisais converser deux parties de moi-même et qu'il se passait quelque chose de spécial entre nous trois.

    C'est vraiment de là qu'est parti le projet, de ce sentiment subjectif que j'avais. À partir de là est né le scénario dont a été tiré un film. C'est ainsi que le subjectif devient un objet, et c'est encore plus le cas lorsque vous tentez de le faire avec une centaine de personnes, des acteurs…

    Puis, une fois le film terminé, il devient un objet que l'on peut projeter dans une salle de cinéma. Une manière de boucler la boucle.

    Aujourd'hui, le public est confronté à sa subjectivité. Il vit sa propre expérience personnelle face au film, et je trouve cela extraordinaire. Donc oui : le film est parti d'un moment autobiographique très fort et très vivant. Puis, au fil du temps, il est devenu ce film.

    Et maintenant, il revêt à nouveau un aspect autobiographique pour les spectateurs, d'une certaine manière.

    Nous comprenons tous ce sentiment, à la fois miraculeux et étrange, quand une personne est dans votre vie ou qu'elle y entre à un moment donné. C'est le genre de choses auxquelles nous pouvons tous nous identifier et que nous avons tous dans nos propres histoires.

    C'est effectivement ce qui surprend : "Past Lives" est un film personnel, mais pour tout le monde. Avez-vous eu du mal à trouver le bon équilibre entre le trop intime et le trop universel ?

    Je ne devais pas avoir peur qu'il soit trop spécifique. J'ai l'impression qu'il ne faut pas avoir peur de l'être, parce qu'il faut croire que les gens et le public ont l'empathie nécessaire. Et aussi parce que les vies sont pleines et complexes, et qu'elles traversent le temps et l'espace de manière tangible et solide. Il faut que le public ait la place d'aller à la rencontre de l'histoire, au lieu de chercher à la rendre trop universelle.

    C'est comme ce mot coréen au cœur du film, "inyeon". Vous ne le connaissez peut-être pas, mais vous l'avez déjà ressenti : vous avez parlé à un étranger, et vous vous demandez pourquoi vous et lui êtes capables de parler aussi profondément tout de suite. Est-ce que vous vous connaissez d'une manière ou d'une autre ? Vous êtes-vous connus dans une autre vie ?

    Et à l'inverse il y a ces relations où l'on ne comprend pas pourquoi on ne cesse de croiser cette personne que l'on n'aime pas. (rires) Nous comprenons tous ce sentiment, à la fois miraculeux et étrange, quand une personne est dans votre vie ou qu'elle y entre à un moment donné.

    C'est le genre de choses auxquelles nous pouvons tous nous identifier et que nous avons tous dans nos propres histoires, si on a vécu. L'universel ne m'inquiétait donc pas tant que ça, parce que je me disais que mon histoire était intrinsèquement universelle parce que je suis une personne.

    ARP
    Teo Yoo et Greta Lee

    Le fait de commencer par la scène qui a lancé le projet, c'était une manière de boucler la boucle aussi ?

    Tout à fait !

    Pourquoi avoir choisi ce point de vue extérieur, cette personne qui parle des trois personnages ? Pour vous moquer des clichés que nous pouvons avoir sur les gens que nous ne connaissons pas ? Ou nous faire comprendre que de nombreuses histoires peuvent se produire avec trois personnes différentes ?

    Il y a un peu tout cela, bien sûr. Mais j'ai l'impression que c'est surtout une manière de plonger le public dans le mystère du film. Car on met les spectateurs dans la peau de détectives.

    Comme ces personnes que l'on ne voit pas et qui se demandent qui sont celles que l'on voit à l'écran, les unes pour les autres. On peut ainsi jouer avec ces voix et, ce faisant, chacun peut se faire une idée de la façon de regarder ce film, car on lui donne des clés pour le faire.

    Pour que vous soyez engagés dans le film, il faut des enjeux. Et le principal, ici, c'est de comprendre qui sont ces trois personnes les unes pour les autres, et que ce n'est clairement pas ce qu'elles semblent être quand on les voit comme ça.

    Lorsque vous réalisez un film comme celui-ci, qui repose sur une histoire personnelle, quelle est la principale difficulté au moment de choisir vos acteurs ?

    Je n'y ai pas vraiment pensé en termes de difficulté. Je voulait surtout trouver les bonnes personnes pour les personnages, pas qu'ils recréent quelque chose. Surtout qu'il n'y avait rien à recréer. (rires)

    Ça n'était qu'un sentiment pour moi, pas un événement public. Ce n'est pas le biopic d'une personne célèbre. Au moment du casting, je ne me suis pas demandé comment reproduire la réalité dont le film s'inspire, mais plutôt qui allait créer ces personnages avec moi. Qui allait pouvoir avoir cette âme qui colleraient avec les personnages tels que je veux qu'ils soient ?

    Lorsque j'ai choisi Greta [Lee], je cherchais quelqu'un avec un peu de feu en elle. Qui ne soit pas seulement une gentille fille, que quelque chose brûle à l'intérieur d'elle. Et ce que j'ai aussi aimé chez elle, c'est que quand vous la rencontrez et lui parlez, elle fait adulte : elle a 40 ans, deux enfants, elle présente bien, paraît professionnelle. Puis elle se met à faire des blagues quand vous devenez proche d'elle, à sourire, et elle a l'air d'avoir 11 ans. D'être une petite fille.

    C'est aussi le cas de Teo Yoo, qui joue Hae Sung. Il a également 40 ans et c'est un homme très sérieux. Mais lorsqu'il sourit, je me demande qui est cet enfant de 6 ans. Et cette cohabitation entre l'adulte et l'enfant chez ces acteurs a joué un rôle important vis-à-vis de ce que je recherchais pour les personnages. Cela participe à leur histoire.

    Chaque réplique, chaque moment, chaque regard doit ainsi être dirigé vers le sujet du film

    J'ai été impressionné par la simplicité avec laquelle vous racontez votre histoire, sans que cela nuise à son côté émouvant et chaleureux. Comment avez-vous atteint cette simplicité, aussi bien lors de l'écriture, du tournage et du montage ?

    C'est le but que je veux atteindre dans mon travail de toute manière. Aussi bien la simplicité que l'efficacité - j'adore ce mot ! Et c'est aussi une question de clarté de l'histoire racontée, tout le reste n'a pas d'importance.

    Chaque réplique, chaque moment, chaque regard doit ainsi être dirigé vers le sujet du film. Il ne s'agit pas nécessairement d'un thème unique, car plusieurs cohabitent ici, mais ils doivent tous être liés au sujet principal.

    Et je pense que tout doit converger vers les derniers instants du film. Car il repose sur ces dix dernières minutes. Le reste a pour but de nous y mener à grande vitesse, et c'est ce qui me guide à chaque étape du processus.

    Au montage, j'ai réalisé que des séquences que j'avais tournées ne collaient pas, qu'elles nuisaient à l'efficacité du récit. C'est comme aiguiser un couteau : vous faites ce qu'il faut pour qu'il coupe bien. C'est aussi une question d'affinage, et il faut être prêt à laisser certaines choses sur le sol de la salle de montage.

    Et c'est au montage que vous êtes parvenue à créer ce rythme un peu onirique, qui s'accorde avec la photographie ?

    Nous savions comment nous voulions tourner le film, et la manière dont nous souhaitions qu'il avance. Pendant la préparation déjà, lorsque l'on parle de scènes, ou au moment du casting.

    Beaucoup de choses se passent pendant le processus, et vous vous servez bien sûr du montage pour que le film ait un peu plus sa propre identité. Sans tenter d'en faire un autre film pour autant. Vous cherchez juste à le rendre plus affûté.

    Je savais ce que je voulais lorsque nous étions au stade du scénario. Nous connaissions nos besoins avec les chefs de départements, ce que nous voulions réunir, puis mon chef monteur et moi avons aiguisé tout cela pendant la phase de montage.

    Un rythme auquel participe également la bande-originale

    Il est drôle que vous parliez de réunir des choses, car on remarque à l'inverse que Nora et Hae Sung sont souvent séparés, même lorsqu'ils sont ensemble à New York. Était-ce volontaire, pour montrer qu'ils ne peuvent pas vraiment être ensemble quoiqu'ils fassent ?

    Tout à fait ! La distance est un élément important de leur histoire. S'ils sont trop éloignés l'un de l'autre, ils ont l'air de ne pas s'aimer. Mais s'ils sont trop proches, ils ont moins l'air de se désirer.

    Si vous pouvez déjà vous asseoir aussi près d'une personne, le besoin de s'en rapprocher ne peut plus être aussi vif. Il faut donc un drôle d'équilibre entre le fait d'être un peu trop loin et un peu trop près. Trouver le juste milieu.

    Mais il n'y aucun autre moyen de le trouver qu'en regardant le cadre et en le ressentant. C'est un peu bête... (rires) Mais je ne peux pas vraiment décrire cela. C'est comme s'il n'y avait pas de règle.

    Nous fixions le cadre, et c'est là que nous pouvions déterminer s'ils étaient trop proches ou trop éloignés. Mais la distance devait être parfaite, car c'est celle qu'ils ne pourront jamais franchir. Et celle qui ne grandira jamais entre eux.

    Il y a quelque chose de l'ordre de l'inconnu autour de l'espace dans lequel ils se trouvent. Mais cela va avec le mystère central du film, à savoir définir qui ils sont l'un pour l'autre. On ne pourra jamais dire qu'il ne sont rien l'un pour l'autre. Pas plus qu'ils ne seront quelqu'un de très réel pour l'autre. Il faut rester dans cette zone intermédiaire.

    Comment avez-vous travaillé avec Greta Lee, Teo Yeo et même John Magaro pour parvenir à cette gêne lorsque les personnages se retrouvent après de nombreuses années ?

    La maladresse était intégrée au personnage d'Hae Sung et au scénario. C'était important pour leur alchimie. Et ce terme revêt d'ailleurs différentes significations selon les personnes : pour certains, il s'agit d'une alchimie sexuelle ou quelque chose de ce type. Mais cela peut désigner des choses très variées.

    Quand Nora et Hae Sung se revoient, physiquement, pour la première fois, elle est mariée et ils ne vont pas pouvoir franchir cette ligne de démarcation. Il faut donc que ce soit inconfortable.

    Dans le cadre d'une comédie romantique plus classique, ce ne serait pas le bon type d'alchimie. Là, il serait question de flirter, de se demander si et comment les choses vont pouvoir se produire. C'est beaucoup plus simple.

    Mais Nora et Hae Sung avaient besoin d'un type d'alchimie bien spécifique : de se sentir à la fois étrangers et trop proches. Je devais parfois demander aux acteurs de paraître moins intimes, plus mal à l'aise, plus déconnectés.

    Dans la scène près du manège, à Brooklyn Bridge Park, il n'y a rien de résolu par exemple. Ils sont comme des inconnus à ce moment et se retrouvent à court de sujets de conversation : il y a tellement de choses du passé à aborder qu'ils ne savent pas par quoi commencer.

    C'est de cette alchimie dont ils avaient besoin, et qui n'est pas aussi simple que celle entre Greta et John [Magaro, qui joue le mari de Nora, ndlr], qui est une alchimie de personnes mariées et de meilleurs amis, qui correspond plus à celle des comédies romantiques.

    Ce que je recherchais chez Greta et John était très différent de ce que je voulais pour Greta et Teo, et qui relevait plus de la maladresse. Mais la maladresse est une sorte d'alchimie qui peut être très érotique en soi. Parce que c'est un peu gênant. (rires)

    ARP
    Teo Yoo et Greta Lee

    "Past Lives" aborde les questions de vies antérieures, d'opportunités manquées, de ce qui aurait pu être. Faire ce film était-il, pour vous, un moyen de vous sortir ces idées de la tête pour les coucher sur papier et sur un écran ?

    Les gens parlent souvent de ce film comme d'une histoire de rendez-vous manqué. Ce qui est très vrai et j'y pense beaucoup. Mais ce qui m'intéresse le plus, à la fin notamment, c'est qu'elle puisse dire au revoir à la petite fille qu'elle a laissée derrière elle à 24 ans. Past Lives est un film qui raconte trois adieux.

    Nous n'en dirons pas plus sur la fin, mais retrouvez prochainement un article dans lequel Celine Song nous explique comme l'interpréter.

    Pourquoi avez-vous choisi d'avoir des ellipses aussi importantes, en laissant passer douze ans entre chaque partie ?

    Ce que je voulais dépeindre avec précision, c'est la manière dont le temps passe dans nos vies. On a parfois l'impression que douze années passent en un éclair, et deux minutes nous paraissent être une éternité.

    Je voulais que le temps avance à son rythme, et j'ai choisi le chiffre 12, car 7 c'était trop court et 20 trop long. (rires) Douze ans, c'est assez long pour que beaucoup de choses aient changé, et pas assez pour que cela n'ait plus d'importance.

    Les enjeux sont toujours élevés en douze ans mais ce n'est pas si court. Alors qu'en sept ans, les choses sont encore assez vives pour se dire qu'Hae Sung devrait se battre pour elle. Pas avec un écart de douze ans, où beaucoup de choses ont pu se produire. Nora n'est, par exemple, pas mariée depuis six mois mais de nombreuses années.

    Je suis désolée, ça n'est pas une réponse romantique mais pratique. (rires)

    Tout est une question de ressenti : parfois on se dit que ça n'est pas important du tout, parfois que ça l'est beaucoup. Et Past Lives parle de cette seconde catégorie.

    J'aime aussi que, à quelques exceptions près, nous n'ayons pas de marqueurs temporels : il y a bien Facebook ou Skype, vous citez ouvertement "Eternal Sunshine of the Spotless Mind" et Nora écrit l'année dans une scène, mais vous ne situez pas vraiment le récit de manière générale. Était-ce aussi pour parler à plus de monde ?

    Je ne voulais pas que nous nous perdions dans des détails, car je ne pense pas que ce soit ainsi que nous concevons nos souvenirs. Si vous me demandiez quand cette amie du lycée et moi nous étions disputées, je ne saurais vous le dire. Ni quand j'ai eu cette conversation intense avec une personne pendant une nuit. Je sais que c'était au lycée, mais sans plus.

    Et c'est vraiment de cette manière dont nous fonctionnons avec la mémoire et les moments de notre vie.

    Et c'est ce qui est fou avec le temps : des mois peuvent se passer sans que nous le ressentions vraiment, et une soirée de deux heures peut sembler durer une éternité. Et on se dit que c'est cet événement qui va définir le reste de l'année.

    Tout est une question de ressenti : parfois on se dit que ça n'est pas important du tout, parfois que ça l'est beaucoup. Et Past Lives parle de cette seconde catégorie.

    On n'a pas besoin de voir toutes les étapes de leur amour de jeunesse, juste les moments qui ont compté. Notamment le moment où, enfants, ils se disent au revoir, qui est l'un des plus importants. C'est ainsi que je le ressens.

    Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Deauville le 2 septembre 2023

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