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    "En écoutant Judith" : la lettre de François Ozon à Judith Godrèche après son discours aux César 2024
    Brigitte Baronnet
    Passionnée par le cinéma français, adorant arpenter les festivals, elle est journaliste pour AlloCiné depuis 12 ans. Elle anime le podcast Spotlight.

    François Ozon a écrit à Judith Godrèche, pour donner suite à ses prises de parole, notamment aux César. Le réalisateur a travaillé avec l'actrice pour le film "Potiche", sorti en 2010.

    François Ozon s'adresse à Judith Godrèche. Alors que les réactions publiques du milieu du cinéma ont été assez rares depuis les prises de de parole de la réalisatrice, scénariste et actrice, le cinéaste parle. Il a répondu à l'invitation du magazine Les Inrocks, qui vient de paraitre, pour lui adresser un texte.

    Judith Godrèche espère en retour autre chose que des silences dans le milieu du cinéma. Elle a raison.

    "Judith Godrèche a parlé, témoigné et espère en retour autre chose que des silences dans le milieu du cinéma. Elle a raison, car face à la libération de la parole, il me semble nécessaire autant d'entendre que de répondre, chacun à son niveau. Tout silence équivaut pour les victimes à une négation de ce qu'elles ont vécu et à la continuation d'un système", écrit François Ozon.

    Le réalisateur a collaboré avec Judith Godrèche pour le film Potiche, sorti en 2010.

    Potiche
    Potiche
    Sortie : 10 novembre 2010 | 1h 43min
    De François Ozon
    Avec Catherine Deneuve, Gérard Depardieu, Fabrice Luchini
    Presse
    3,9
    Spectateurs
    3,1
    louer ou acheter

    Voici un autre extrait de cette lettre, à retrouver en intégralité dans le magazine : "Je réalise aujourd'hui grâce à toutes les questions soulevées par la parole de Judith que toute ma génération de réalisateurs et de réalisatrices a été élevée et éduquée dans le culte de ces metteurs en scène, créateurs d'icônes.

    Toute ma génération de réalisateurs et de réalisatrices a été élevée et éduquée dans le culte de ces metteurs en scène, créateurs d'icônes.

    L'autre influence sur notre cinéphilie et notre pratique naissante de la mise en scène a été la glorification de l'auteur/ metteur en scène, démiurge et tyrannique, qui bouleverse et remet en cause les conditions de tournage pour créer de l'accidentel, "du réel", sans tenir compte du bien-être des acteurs, actrices ou techniciens, techniciennes. Seul le résultat comptait."

    Les abus, humiliations, manipulations, insultes faisaient même partie du folklore qu'on nous enseignait : l'art avant tout. Pialat et Godard en étaient les deux totems inattaquables. Aujourd'hui la parole de Judith a cette vertu de nous obliger à nous interroger et à déconstruire dans de nouvelles perspectives notre héritage mais aussi nos pratiques de travail. C'est à la fois salutaire et stimulant pour l'avenir."

    Le discours de Judith Godrèche, moment fort des César 2024

    Après une première prise de parole, où elle a exprimé l'emprise dont elle a été victime, Judith Godrèche a continué de diffuser son récit à travers les réseaux sociaux, la radio, dans les journaux et à la télévision.

    Moment fort de la cérémonie des César qui se tenait le 23 février dernier, le discours puissant de Judith Godrèche.

    Voici quelques extraits de son discours :

    "C'est compliqué de me retrouver devant vous tous ce soir. Vous êtes si nombreux. Mais dans le fond, j'imagine qu'il fallait que ça arrive. Nos visages face à face, les yeux dans les yeux. Beaucoup d'entre vous m'ont vue grandir. C'est impressionnant. Ça marque. Dans le fond, moi, j'ai rien connu d'autre que le cinéma. (...)

    Sur le devant de la scène

    Parce que vous savez, cette solitude, c'est la mienne, mais c'est également celle de milliers dans notre société. Et elle est entre vos mains. Nous sommes sur le devant de la scène. À l'aube d'un jour nouveau, nous pouvons décider que des hommes accusés de viol ne puissent pas faire la pluie et le beau temps dans le cinéma. (...)

    Serait-il possible que nous puissions regarder la vérité en face, prendre nos responsabilités, être les acteurs et les actrices d'un univers qui se remet en question ? Depuis quelque temps, je parle, je parle, mais je ne vous entends pas ou à peine. Où êtes-vous ? Que dites-vous ? (...)

    Les petites filles sont des punk qui reviennent déguisées en hamsters

    Ne croyez pas que je vous parle de mon passé, de mon passé qui ne passe pas. Mon passé, c'est aussi le présent des 2000 personnes qui m'ont envoyé leur témoignage en quatre jours. C'est aussi l'avenir de tous ceux qui n'ont pas encore eu la force de devenir leur propre témoin. Vous savez, pour se croire, faut-il encore être cru. (...)

    Merci de m'avoir donné la possibilité de mettre ma cape ce soir et de vous envahir un peu. Il faut se méfier des petites filles. Elles touchent le fond de la piscine, elles se cognent, elles se blessent mais elles rebondissent.

    Les petites filles sont des punk qui reviennent déguisées en hamsters. Et pour rêver à une possible révolution, elles aiment se repasser ce dialogue de Céline et Julie vont en bateau : "Cette fois, ça ne passera pas comme ça.""

    Le 25 février dernier, dans les colonnes du Parisien, Judith Godrèche s'est exprimée pour évoquer son ressenti sur ce moment.

    "Ceux qui m’ont envoyé des messages se comptent sur les doigts de la main. Il y a un silence que je vis au jour le jour. D’abord, le silence des adultes de l’époque où j’étais adolescente, qui se cachent dans les bois. Même si je comprends que ces gens doivent faire face à la culpabilité, à la difficulté de dire les choses, c’est quand même assez stupéfiant.

    Ensuite, le silence du milieu du cinéma en général. En revanche, je reçois énormément de soutien de la part de jeunes actrices, de victimes et de l’ADA (l’Association des acteurices). Le discours de Juliette Binoche ce jeudi (elle apporte son soutien à Judith Godrèche dans une interview à Gala) m’a aussi beaucoup touchée", a-t-elle confié au Parisien.

    Elle ajoute : "J’ai été très touchée par le fait que les gens se lèvent. Mais ce que veut vraiment dire cette standing ovation, on le saura dans les jours qui viennent. Si c’est l’expression d’un sentiment commun, alors ça se traduira par des actes.

    Si c’était un geste qui n’est pas ancré dans une conviction et un désir que les choses changent, alors il ne se passera rien. J’ai écrit ce discours pour qu’il fédère, qu’il suscite un changement. Je n’ai pas besoin qu’on me couvre de crème chantilly, qu’on me dise qu’on me comprend… Je veux savoir ce qu’on va faire maintenant. Mon propos, c’était : « Et maintenant, agissons ! »"

    Judith Godrèche a également partagé son vécu dans l'émission En société sur France 5

    Pour mémoire, à l'issue de la cérémonie, Justine Triet a partagé son émotion après "la prise de parole des femmes" dont celle de Judith Godrèche :

    Judith Godrèche a redonné un souffle au mouvement MeToo en France, 5 ans après la prise de parole d'Adèle Haenel, d'abord dans Mediapart, puis en se levant et en partant avec fracas de la cérémonie des César 2020, qui avait distingué Roman Polanski dans la catégorie meilleure réalisation pour J'accuse.

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