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    Interview : McTiernan et les studios

    En tournée de promotion de "Basic", John McTiernan est longuement revenu pour AlloCiné sur ses problèmes avec les grands studios américains. Morceaux choisis.

    Un paradoxe à lui tout seul. Vénéré par des cohortes de fans pour l'action explosive de Piège de cristal, Une journée en enfer et autres Predator, John McTiernan traîne derrière lui une réputation de cinéaste maudit après les échecs critiques, publiques et/ou artistiques du 13e Guerrier et de Rollerball. Deux films que le metteur en scène n'a pas hésité à renier après la reprise en main des projets par ses différents producteurs.

    Rebelle au sein d'un système qu'il ne peut ou ne veut quitter, John McTiernan est longuement revenu sur ses relations houleuses avec les studios au micro d'AlloCiné lors de la tournée de promotion de son nouveau film, le thriller militaire Basic. Des propos engagés, éclairage utile d'un système performant jusqu'à l'absurde. Un témoignage que nous avons décidé de vous faire partager un mois avant la sortie de Basic le 28 mai prochain.

    AlloCiné : Avec "Basic", vous signez votre onzième long métrage en un peu plus de quinze ans de carrière. Le cinéma hollywoodien vous semble-t-il avoir évolué depuis vos débuts dans les années quatre-vingt ?

    John McTiernan : Aujourd'hui, les politiciens ont davantage la mainmise sur les studios de production qu'auparavant. Ils ne sont en rien metteurs en scène, ce sont des managers, des dirigeants, ce qui est bien dommage. En dehors de cela, j'ignore s'il y a eu d'autres changements.

    Votre façon de réaliser s'en est-elle trouvée modifiée ?

    Il existe en fait une gamme très diversifiée de petites entreprises présentes derrière les grandes maisons de production. Ce sont elles qui financent les films distribués par les studios. Cela s'explique par le fait que les dirigeants des studios ne veulent pas prendre le risque d'essuyer un éventuel échec. Par conséquent, ils ont externalisé tout ce stade décisionnel. Il leur reste uniquement à choisir parmi des films déjà entièrement préparés, avec une distribution, un financement...

    J'ignore si la pratique est semblable en France, mais aux États-Unis, un supermarché ne vend pas, n'achète pas et ne possède pas de nourriture : il loue des emplacements sur ses gondoles aux entreprise qui fournissent cette nourriture. Mais, le magasin ne les a jamais achetées. Vous comprenez ? Le business du cinéma aujourd'hui ressemble quelque peu à ça aux Etats-Unis. Les grandes maisons de production ne créent plus de films, elles louent des systèmes de distribution. Par conséquent, de nombreuses décisions découlent directement de ce marché, au lieu d'être le résultat du choix d'un metteur en scène, doté d'une expérience en la matière, et qui dit : "Je pense que cela ferait un bon film". La nature de ce business est considérablement faussée.

    Vous avez rencontré de nombreuses difficultés avec au moins deux de vos films récents, "Le 13e Guerrier" et "Rollerball". N'avez-vous jamais eu l'envie d'abandonner ?

    J'y repensais justement tout récemment ! Il y a plusieurs réalisateurs que j'apprécie beaucoup, qui ont tourné une ou deux grosses productions, et qui, par la suite, ont dit "Et puis, merde. Plus jamais. C'est complètement fou !". John Boorman, par exemple, ou George Miller qui a réalisé deux films hollywoodiens (Les Sorcieres d'Eastwick et Lorenzo, NDLR), avant de se dire "Plus jamais" et de retourner en Australie. Mais moi, je n'ai pas d'Australie où aller : j'ai grandi aux États-Unis, et je ne sais pas où aller. J'ai essayé de poursuivre mon travail de réalisateur hollywoodien bien plus longtemps que les cinéastes que je viens de citer. Je ne sais pas si j'ai eu raison...

    Seriez-vous tenté par le cinéma indépendant ?

    J'envisage plusieurs options.

    Malgré tous les problèmes, vous restez un réalisateur très apprécié du public, car vous êtes souvent considéré comme l'un des maîtres des films d'action. Comment expliquez-vous cette popularité presque infaillible ?

    Je n'en ai aucune idée ! J'ai toujours basé mon travail sur le fait qu'être réalisateur ne consiste pas simplement à vendre un produit fini, mais qu'il s'agit plutôt d'une profession, d'un engagement à vie. Donc je suis toujours parti du fait que pour entreprendre ce travail honnêtement, il existe certaines règles à respecter. Par exemple, si vous avez tourné un film qui a remporté un vif succès, il ne faut surtout pas chercher à calquer votre prochain film sur ce modèle. C'est ce que j'ai toujours essayé de faire dans la mesure du possible, au sein du système.

    Pour Basic, ça a été très drôle ! Plusieurs jeunes cadres du studio n'arrêtaient pas de dire à quel point ce film était branché et palpitant à cause de sa narration éclatée. Or, ils ignoraient complètement que bon nombre de réalisateurs français et italiens, ainsi que d'autres cinéastes européens, avaient déjà utilisé cette construction dans leurs films cinquante ans auparavant ! Ils n'en avaient pas la moindre idée ! Ils étaient persuadés que cette idée était inédite ! Depuis le début de ma carrière, je me suis heurté à des abrutis comme eux parce que je voulais justement découper le fil de la narration ! Et, la seule fois où j'ai eu le droit de le faire a été pour ma première grosse production, Nomads, en 1986. Mais, depuis, j'ai été contraint de suivre une ligne droite, excepté pour Basic qui suit une construction éclatée. Mais, ces imbéciles sont persuadés que tout ceci est nouveau, qu'ils l'ont inventé ! C'est ahurissant.

    Quels sont vos projets à venir ? Les rumeurs vont bon train quant à un "Die hard 4". Pouvez-vous nous en dire plus ?

    Avant Une journée en enfer, le dernier Die hard en date (réalisé en 1995, NDLR), Bruce Willis et la maison de production ont entrepris une espèce de danse : ce n'est rien d'autre qu'une histoire d'argent, ce n'est pas sérieux. Bruce parle beaucoup de Die hard 4, ce qui est évidemment repris par la presse : plus un nouveau volet est réclamé, plus le studio est prêt à payer cher. Cependant, ils ne se sont pas encore mis d'accord sur un financement. S'ils étaient arrivés à un accord, nous serions en train de tourner le film à l'heure qu'il est... Pour l'instant, Bruce est en train de faire de la promotion pour ce film afin d'allécher le studio. Ainsi, ce dernier propose de plus en plus d'argent pour le projet jusqu'à ce qu'ils se mettent d'accord sur une somme. Cela peut durer très longtemps. La dernière fois, il leur a fallu trois ans.

    Et vous dans tout cela ?

    J'attends qu'ils aient fini de danser. Il est inutile pour un poulet comme moi de prendre position sur ce sujet tant que les éléphants n'auront pas fini de danser. Quand ils auront fait un choix, peut-être que l'un d'entre eux m'invitera à les rejoindre. Mais, peut-être pas ! Qui sait ? On verra bien...

    Propos recueillis par Thomas Colpaert et traduits par Camille Joubert

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