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    Interview "Inju" : Barbet Schroeder sort de l'ombre

    Quel est le point commun entre Mickey Rourke, Jacques Vergès, Idi Amin Dada et Benoit Magimel ? Réponse, le réalisateur d'"Inju", Barbet Schroeder... qui évoque pour AlloCiné ces grandes rencontres !

    Samuel Fuller

    C'est une de mes idoles. Un des cinéastes qui m'ont le plus marqué. A l'époque, j'avais vu La Maison de bambou [un film tourné au Japon, comme Inju] à la séance de 14h, et je suis resté à la séance de 16h et puis à celle de 18h. Ca a été un véritable choc. Après, j'ai eu la chance de le rencontrer. On parlait des heures, parfois 17 heures de suite sans s'arrêter. Je l'ai vu jusqu'à sa mort, à Los Angeles. C'était quelqu'un dont j'étais très proche, et je suis certain que, quelque part, Inju lui doit quelque chose.

    Wes Anderson

    C'est un ami. C'était une expérience merveilleuse d'être au coeur de la fabrication de plusieurs scènes [ joue le rôle du garagiste dans ]. Chaque fois que je fais un rôle, c'est pour des amis, qui me demandent "Tiens, ce serait amusant..." Et je suis toujours d'accord. C'est intéressant parce que ça permet non seulement de savoir ce que vivent les comédiens et donc d'apprendre à bien se comporter en tant que metteur en scène, mais aussi de voir comment font les autres réalisateurs -car chacun développe un système. C'était fascinant d'observer faire ses plans-séquences, et de voir la gentillesse et la simplicité avec lesquelles il arrivait à faire marcher tout son petit monde.

    C'est vrai que est très francophile. Moi, j'ai un rapport ambivalent avec la France. Je ne suis pas né en France, je n'y ai pas passé mon enfance. Ce type de lien affectif qu'on a avec un pays, je l'ai avec la Colombie. Quand je suis arrivé en France, c'était un traumatisme, et j'ai trouvé refuge dans l'Amérique, dans le cinéma américain. Mon premier film, , était un film américain, en anglais, avec une actrice américaine. En même temps, j'ai tout appris d', de la Nouvelle Vague, des Cahiers du cinéma... Tout ça fait un nouveau cocktail ! Si vous me demandez la nationalité d', je répondrai : c'est un film de cinéphile. De cinéphile des années 50-60. C'est un film japonais, parce qu'il est très sérieux sur ce plan-là. Il y avait une équipe 100% japonaise, avec 100 personnes, comme un film hollywoodien. D'ailleurs c'est un thriller qui pourrait être d'Hollywood. Et c'est aussi un film français, puisque le rôle principal est joué par un des meilleurs acteurs français !

    Jean Rouch

    Ah ! le merveilleux ... C'est quelqu'un qui m'a beaucoup influencé. Il était d'une générosité extraordinaire, très vivant. Il voyageait dans le monde, s'arrêtait quelque part 24 heures, y plantait une graine... et un film naissait à coup sûr. J'ai eu avec lui des discussions à n'en plus finir sur le documentaire, la fiction... Ca a été une véritable formation pour moi.

    Aimant le cinéma américain, j'aime les surprises, l'intrigue, l'intensité dramatique. Mais venant de l'école de Rouch, de la Nouvelle Vague, de , j'aime aussi que les films soient ancrés dans une réalité. D'ailleurs, je ne suis pas le seul : aussi éprouvait ce besoin. J'ai même découvert une anecdote : dans , fait un itinéraire en voiture. Ca a l'air sans importance, mais il a demandé à un assistant de faire l'itinéraire de Phoenix au motel en prenant des photos, car il avait besoin de savoir comment était la route ! Là, pour , on a fait des enquêtes approfondies pour que tout ce qu'on montre sur l'univers des Geishas soit absolument vrai. Et on a fait très attention à ce qu'un Japonais qui voit le film ne soit pas gêné, comme nous pouvons l'être quand nous voyons un film américain qui montre Paris d'une manière extravagante.

    J'avais joué le rôle principal du court métrage réalisé par Jean Rouch . C'était passionnant, car pour un acteur, les plans séquences sont toujours très excitants : Une fois qu'on arrive au bout, il y a une tension extraordinaire, quelque chose en plus... Là, c'était carrément un plan-séquence de presque 20 minutes. Ca n'avait jamais été fait avant car c'était la première fois qu'il y avait des caméras portables à l'épaule, avec son direct. C'était une véritable découverte, l'exploration d'un terrain nouveau.

    Mickey Rourke

    Ah ! Alors lui... Je pense qu'il va faire un come-back d'une manière ou d'une autre. Un talent extraordinaire, une présence à l'écran stupéfiante... Malheureusement, il avait une tendance à l'autodestruction poussée à l'extrême. Quand il est venu sur le plateau de , il venait de jouer , et donc il s'était fait un tatouage sur le bras : un vrai tatouage irlandais, qu'on ne pouvait pas enlever ! Ca ne collait pas avec le personnage, donc il fallait qu'on ne montre jamais son bras...

    Plus tard, j'ai eu un autre projet avec lui, Le meurtre du deuxième chien. C'est une triste histoire. J'avais beaucoup travaillé, et à la dernière minute il m'a dit qu'il ne voulait pas le faire, qu'il avait des problèmes avec le scénario -alors qu'il savait que j'essayais de rassembler l'argent depuis un an ! Le film était financé sur son nom, et j'avais dû me battre pour l'imposer parce qu'on ne voulait déjà plus tellement de lui à l'époque. Donc j'ai déposé devant sa porte tous les contrats que j'avais obtenus tout autour du monde pour le film, avec un petit mot lui disant que je ne lui parlerais plus jamais. Et c'est ce que j'ai fait. C'était l'histoire d'un écrivain en Asie, mais ça n'avait rien à voir avec . Ca se passait en Thaïlande. C'est un projet que je reprendrai un jour, peut-être à Bagdad, une fois que le calme sera revenu. Car il faut que ce soit un endroit qui a été en guerre...

    Fritz Lang

    Mon idole absolue ! Ca, c'est sûr que j'ai regardé ses films à l'infini, plan par plan... Et c'est évident qu'on pense à lui en regardant ! aimait beaucoup les situations rocambolesques, extraordinaires, mais les montrait avec rigueur, une mise en scène au couteau, un enchaînement de plans parfaits. Je ne prétends pas être à sa hauteur, mais j'espère que l'esprit de Fritz Lang est présent dans le film.

    Je l'avais rencontré, pour lui dire toute mon admiration, et aussi pour lui dire que je souhaitais venir sur le tournage de ce qui allait être son dernier film, en Inde. J'étais prêt à travailler gratuitement. Il m'a répondu : "Puisque vous êtes aussi fanatique et dévoué, prêt à aller jusqu'en Inde, vous êtes bien sûr le bienvenu". On s'est donc donné rendez-vous en Inde, six mois plus tard. J'y suis allé... mais le film venait d'être annulé ! Je suis quand même resté six mois en Inde...

    Eric Rohmer

    On peut dire que j'ai tout appris de lui. Je lui dois énormément. Au départ, j'étais son producteur. Mais être le producteur d', ça veut dire aussi être son assistant, son complice... Sur ses films, j'ai été aussi son acteur, son électricien, son comptable... C'est le critique qui m'a le plus influencé avec . Il avait dix ans de plus que les gens de la Nouvelle Vague, mais c'est quelqu'un d'extrêmement simple et naturel. Ce qui est impressionnant chez lui, c'est cette somme de refus : refus de montrer des photos de lui, de faire des interviews, d'avoir le téléphone, d'avoir un ascenseur... Il se définit autant par les choses qu'il refuse de faire que par celles qu'il veut faire.

    Je suis toujours sidéré par ses films, c'est un travail de mise en scène énorme à chaque fois, même si cette mise en scène ne se voit pas toujours. On commence seulement à comprendre que ses films sont mis en scène, que ce ne sont pas des dialogues de Marivaux... A chaque fois qu'un de ses films sort, c'est une révolution, il apporte quelque chose de complètement nouveau. , c'était vraiment incroyable. Quand on reverra ce film, on se rendra compte que c'est un saut énorme dans l'Histoire du cinéma.

    Jacques Vergès

    Ah ! Mon cher ennemi ! (sourire) Voilà un personnage extraordinaire. Vous me dites qu'il méritait le César du Meilleur acteur, et c'est certain qu'il y a un côté cabot chez lui. D'ailleurs j'ai appris qu'il voulait monter sur les planches... En même temps, ce qui m'intéressait, c'était le personnage de fiction qu'il y avait en lui, extrêmement complexe, plein de surprises et de détour. a-t-il éclairci le mystère Vergès ? Je dirais que oui... mais il faut le regarder de très près.

    Gérard Lebovici

    Il a été très important pour moi. Quand j'étais producteur, il comprenait toujours tout de suite ce que je voulais faire. Il m'a aidé à rassembler le financement des projets les plus fous. A l'époque où je produisais, je mettais deux conditions : 1) que personne d'autre ne veuille produire le film, et 2) que ce film m'apparaisse comme très important dans l'Histoire du cinéma. Lebovici avait un peu la même mentalité. Avec lui et , on a donc mis en place un système qui a permis de produire les films d', de , de : on réunissait une dizaine de coproducteurs intelligents, souvent eux-même réalisateurs, qui avaient gagné un peu d'argent avec leurs films, et en donnaient un peu pour permettre à un grand film d'exister.

    Aujourd'hui, ça ne marche plus comme ça. On est à l'époque des grands groupes, des grandes masses, des décideurs... a dit un jour : "Le XXIe siècle, ça va être terrible, parce que ça va être ennuyeux..." (sourire) Il faut continuer, on ne va pas se laisser abattre, mais c'est vrai qu'il y a un vrai problème de financement du cinéma. La catastrophe est là. En Amérique, toutes les boites indépendantes mettent la clé sous la porte : 10 ont fermé au cours des deux derniers mois... Tout ça parce qu'il y a trop de films : ils finissent par se faire du mal les uns aux autres. Il n'y a plus de place, sauf pour un miracle de temps en temps. Il y a un phénomène d'étouffement, comme lorsqu'il y a trop de plantes au même endroit.

    Je pensais à lui depuis longtemps, bien avant le projet Mesrine (1). C'était un peu mon idole chez les acteurs français, l'acteur avec lequel je rêvais de travailler depuis toujours. Je savais qu'un jour ou l'autre on finirait par trouver quelque chose. Il a une énergie, une modestie, et surtout un naturel, une volonté de réfléchir à chaque scène... Il fait tout un travail sur la moindre phrase. Sur , on a poussé ça jusqu'au délire : il fallait que tout soit parfait pour lui comme pour moi. On a amélioré des choses au doublage sur des détails infimes. J'avais fait le même genre de travail avec sur .

    (1) Au départ, c'est qui devait réaliser le film sur le célèbre truand produit par . avait alors été pressenti.

    Roger Waters

    Lui, je l'adore. Après Syd Barrett, bien sûr, c'était vraiment le créateur au sein des Pink Floyd. C'est avec lui que je dialoguais quand je travaillais avec le groupe sur et . D'ailleurs je l'avais recontacté pour . Il était d'accord pour faire la musique, il avait vu le film. Le problème, c'est qu'avec le système des studios qui souhaitent tout contrôler, la Fox voulait évidemment avoir les droits. Alors qu'à partir du moment ou acceptait de le faire, on auraît du lui laisser les droits... Ca montre en tout cas qu'on était resté en contact, et qu'on rêvait toujours d'une nouvelle collaboration.

    Edward Furlong

    Ah, ça c'est , mais je ne l'ai pas reconnu tout de suite parce qu'il a l'air un peu plus gros sur cette photo. A l'époque de , il était encore très jeune, et déjà très instable, donc merveilleux pour le rôle. C'était l'histoire d'un adolescent qui avait commis un crime, et de ses parents qui essayaient de l'aider, par amour. J'ai eu le même genre de rapports, très intenses, avec [sur ]. On a vraiment bien travaillé, j'étais très content. De toute façon, pour moi, les acteurs c'est ce qu'il y a de plus important dans un film. C'est ce qui donne vie, c'est ce qui donne corps. Je ne sais pas ce qu'est devenu , mais je crois que ce n'est pas gai.

    Nicholas Ray

    C'est l'autre metteur en scène dont j'ai été très très proche. Il m'a même aidé sur , pour la voix off du début. Il a vécu chez moi, et je suis allé vivre chez lui, sur l'île où il habitait. Il était d'une grande générosité. Et il se trouve que c'était aussi un des cinéastes qui m'ont le plus marqué, avant même que je le rencontre.

    [On en arrive à , réalisateur de ... et donc à la Mostra de Venise, où est présenté en compétition, et Wenders président du jury]. Avec le Festival de Cannes, je n'ai jamais eu de chance : mes deux meilleurs films, et y ont été refusés. Je savais qu'ils étaient bons, quand même ! (sourire) Un festival, c'est important pour la promotion d'un film, c'est tout. Le fait de gagner ou pas, c'est secondaire. Ce qui compte, c'est qu'un film soit bien reçu, qu'il marque les esprits. J'ai moi-même toujours refusé de faire partie d'un jury. C'est la seule parole du Christ que je suis absolument à la lettre : tu ne jugeras pas. Tout simplement parce que c'est du pouvoir, or je déteste le pouvoir. J'ai une haine viscérale pour ça, y compris pour mon propre pouvoir de metteur en scène que j'essaie d'oublier quand je fais un film !

    Gérard Depardieu

    à ses débuts, c'était vraiment quelque chose d'extraordinaire. A l'époque où je l'ai contacté, il n'avait pas encore eu d'offre de cinéma. Mon contrat pour , c'était son premier contrat de cinéma, même si après j'ai été obligé d'attendre et donc il a fait d'autres films avant de tourner dans le mien. Mais il était génial, et il l'est toujours.

    Idi Amin Dada

    Le tournage de a été une aventure incroyable. J'avais l'impression de marcher à 2 centimètres au-dessus du sol, je ne croyais pas ce que je filmais. Bien sûr, je lui avais dit que c'était lui qui faisait le film, que j'étais à ses ordres. On a beaucoup rigolé. C'est la même chose qu'avec : j'avais envie d'en savoir plus ce personnage extraordinaire. Je collectionnais les coupures de presse depuis longtemps... Ce que j'ai pensé de dans ? Je l'ai trouvé bien... Je crois qu'il avait beaucoup étudié mon film. (sourire)

    Ah bien sûr, ! est quelqu'un de délicieux, très drôle. Il est aussi très inventif bien sûr, mais ce qui est merveilleux avec les grands, c'est que sur un plateau ils restent très simple. Pour mon rôle dans , c'était le premier jour de tournage. Je jouais le président français, c'était très drôle. J'ai un peu essayé de ressembler à Chirac !

    Propos recueillis à Paris le 25 août 2008 par Julien Dokhan

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