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    Films français délocalisés : ce qu’il faut savoir !

    La Ficam a publié ce jeudi 19 juillet, un rapport montrant qu’au 1er semestre 2012, plus des deux-tiers des gros tournages de films français ont été délocalisés. Nous nous sommes entretenus ce lundi 23 juillet avec Thierry de Segonzac, le président de la Ficam.

    L'Observatoire « Métiers et Marchés » de la Ficam, la fédération des industries techniques du cinéma, a publié ce jeudi 19 juillet, un rapport montrant qu’au premier semestre 2012, plus des deux-tiers des gros tournages de films français ont été délocalisés principalement en Europe. (Lire notre article)

    Nous nous sommes entretenus ce lundi 23 juillet avec Thierry de Segonzac, le président de la Ficam.

    Allociné : Dans son rapport la Ficam fait part d’une importante délocalisation des tournages de films français à l’étranger. Quelles conséquences cette délocalisation a-t-elle sur les professionnels du cinéma et pour l’avenir du Cinéma français ?

    Thierry de Segonzac : Les conséquences sont bien évidemment économiques et sociales puisque les délocalisations de presque 70 % des films de plus de 10 millions entraînent une perte d’emploi et un manque à gagner pour toute la filière technique.

    Ce n’est malheureusement pas un phénomène nouveau puisque nous l’avions déjà connu entre 2000 et 2004, mais nous avions réussi à inverser la tendance en 2004 quand les crédits d’impôt pour le cinéma et la production audiovisuelle ont été mis en place. Et véritablement la tendance avait été totalement inversée.

    Malheureusement les autres pays européens ont continué de développer des systèmes d’incitation, comme le tax shelter belge ou autre. (ndlr : le tax shelter a été créé en 2004, il s’agit d’un incitant fiscal permettant aux entreprises de bénéficier d’une exonération fiscale de 150% du montant investi dans une production audiovisuelle.) Evidemment aujourd’hui ces incitants sont beaucoup plus attractifs que le système français.

    Allociné: Selon vous, que peut faire la France pour tenter d'endiguer ces tournages à l'étranger ? Quelles seraient les solutions ?

    Thierry de Segonzac: Nous savons exactement ce qu’il faut faire pour, à nouveau, inverser cette tendance.

    Nous avons proposé un amendement au crédit d’impôt en fin d’année dernière, mais la difficulté - est évidemment la situation économique en général - mais surtout, tient à un phénomène qui est que le précédent gouvernement - étant donné que nous attendons de connaître la position de l’actuel gouvernement - le Parlement et la commission des finances à l’Assemblée et au Sénat nous ont dit, qu’ à une époque où l’on essaie d’éliminer les niches fiscales, ce n’est pas du tout souhaitable d’améliorer les crédits d’impôt cinéma.

    C’est dramatique, parce que ça signifie que les crédits d’impôt pour le cinéma et pour l’audiovisuel - qui sont des mesures d’attractivité du territoire - sont considérés comme des niches fiscales. Ce qui est une erreur majeure puisque ce sont des mesures qui rapportent à l’économie française beaucoup plus qu’elles ne coûtent finalement. Et le fond du problème est là aujourd’hui.

    Nous avons en France un certain nombre d’atouts en faveur du cinéma. La France est le premier pays européen producteur de films. Nous avons un savoir-faire technique qui est reconnu dans le monde entier, autant pour le tournage que pour les films d’animation et pour les effets spéciaux.

    Nous avons un territoire qui est totalement mobilisé avec toutes les commissions des films régionales pour accueillir, dans les meilleures conditions, les tournages dans les régions et avec des systèmes de soutient régionaux,…

    Et nous avons également des studios et des outils techniques réputés et un patrimoine remarquable sur l’ensemble du territoire.

    Mais nous avons aussi des handicaps. Le handicap majeur étant le Droit du travail, avec les obligations qui nous sont données, notamment en temps de travail, puisque la réduction du temps de travail nous mets dans une situation très défavorable par rapport à tous les autres pays européens. Par exemple, en Belgique on peut tourner 10h par jours et 12 heures par jour aux Etats-Unis. Tout cela n’est pas possible en France, et évidemment le fait de ne pas pouvoir travailler plus de 8 heures par jour pose un problème majeur qui est que vous rallongez la durée du tournage.

    Et aujourd’hui vu la lourdeur de tout amendement, s’attaquer à cette question de la durée du travail est totalement inespéré. La seule chose que l’on peut essayer de faire par rapport au second handicap majeur, qui est le poids des charges sociales, est d’apporter au producteur des contreparties dès l’instant où il développe l’emploi en France et où il développe la présence des tournages en France.

    Et quelles pourraient être ces contreparties ?

    Thierry de Segonzac : Alors la contrepartie c’est le projet d’amendement du crédit d’impôt cinéma que nous avons proposé à la fin de l’année 2011 à l’Assemblée Nationale et au Gouvernement français. Malheureusement la réponse qui nous a été faites est celle que j’évoquais plus haut, disant « au moment même où l’Etat français essaie d’éliminer beaucoup de niches fiscales, vous comprenez bien qu’il n’est pas possible d’améliorer d’autres mesures fiscales. »

    Ce qui est dramatique c’est que le fait de dire cela signifie que le crédit d’impôts cinéma, qui est une mesure d’attractivité, est aux yeux du Parlement et du Gouvernement, une niche fiscale et une mesure de défiscalisation, ce qui n’a absolument rien à voir.

    Nous le savons aujourd’hui, lorsque l’Etat français apporte 1 million d’euros de crédit d’impôt et bien il y a jusqu’à 3 ou 4 millions d’euros de dépenses générées grâce à cela. Et ces dépenses, qui sont générées sur le territoire français, engendrent de la fiscalité, de la TVA, de l’impôt, des charges sociales, et économisent des indemnités chômages. Autrement dit, elles apportent de nombreux avantages qui compensent largement l’effort qui est fait au départ. Et c’est la seule chose qu’il faut faire.

    L’avantage c’est que lorsque vous n’avez qu’une seule mesure, vous n’avez pas besoin de vous battre sur tous les fronts puisqu’on sait exactement ce qu’il faut faire. On attend impatiemment ce que le gouvernement décidera de faire par rapport à ça.

    Si le gouvernement refuse cet amendement, le cinéma français et sa fameuse exception culturelle ne risquent-t-ils pas d’en subir les conséquences ?

    Thierry de Segonzac : L’exception culturelle tient aujourd’hui à la dilemmique de la production française et à l’ensemble du système de soutien français. Donc la production française peut continuer d’avoir lieu et de se développer, y compris en faisant la moitié de la prestation en Belgique, au Luxembourg, en Allemagne, en Irlande, au Canada ou ailleurs.

    Mais pour autant, petit à petit, nous allons assister à une cautérisation extrêmement dangereuse de l’ensemble du tissu technique français et du savoir-faire français. On va avoir une perte de notre savoir-faire qui sera extrêmement dangereuse, je prends l’exemple de pas mal d’entreprises françaises des industries techniques, qui elles-mêmes, pour ne pas perdre trop de part de marché, vont créer des filiales en Belgique, au Luxembourg ou ailleurs.

    Parce que le rapport met bien en lumière une hausse du nombre de tournages de films de fiction et du nombre de semaines de tournage ; mais en effet, si ces films sont tournés en dehors de France c’est un véritable manque à gagner…

    Nous sommes bien d’accords ! Et nous attendons avec beaucoup d’impatience que la Ministre de la Culture puisse exprimer une position par rapport à ça.

    Propos recueillis le lundi 23 juillet 2012 par Laëtitia Forhan

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