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    Qui est Raoul Nordling, l'homme qui sauva Paris ?
    Olivier Pallaruelo
    Olivier Pallaruelo
    -Journaliste cinéma / Responsable éditorial Jeux vidéo
    Biberonné par la VHS et les films de genres, il délaisse volontiers la fiction pour se plonger dans le réel avec les documentaires et les sujets d'actualité. Amoureux transi du support physique, il passe aussi beaucoup de temps devant les jeux vidéo depuis sa plus tendre enfance.

    A l'occasion du 70e anniversaire de la Libération de Paris, nous remettons en avant le portrait de Raoul Nordling, homme clé des événements qui précipitèrent la libération de la capitale, et au coeur du film "Diplomatie" sorti en mars dernier.

    Il possède à son nom un square à Paris, situé juste à côté de l'église Sainte Marguerite, dans le XIe arrondissement. Les villes de Bois-Colombes et Neuilly s/ Seine ont donné son nom à une des leurs rues. Orson Welles l'a incarné dans Paris brûle-t-il ?, le classique de René Clément. Il est au coeur de la pièce de théâtre à succès Diplomatie, écrite par Cyril Gely, transformé en film sous l'oeil vigilant de Volker Schlöndorff. A l'écran en mars dernier, il était incarné par André Dussolier, face à un impeccable et menaçant Niels Arestrup.

    Qui ça, "Il" ? Il, c'est Raoul Nordling, le Consul Suédois qui négocia avec le gouverneur militaire allemand de Paris, le général Von Choltitz, pour tenter de le convaincre de ne pas détruire la capitale, selon les ordres express d'Hitler. Si la pièce de théâtre et le film concentre l'action au cours d'une seule nuit, celle du 24 au 25 août 1944, Nordling négocia en réalité durant plusieurs jours. Il joua effectivement un rôle clé dans les événements qui précipitèrent la libération de Paris du 19 au 25 août et la reddition des troupes allemandes. Retour sur une figure historique qui reste finalement méconnue du grand public.

    Une brillante ascension

    Raoul Nordling né à Paris en 1881. Son père, Carl Gustav Nordling, s’était installé en France à la fin des années 1870 et dirigeait une société de pâte à papier. Le jeune Raoul suit sa scolarité à Paris au Lycée Janson de Sailly, puis fait son service militaire en Suède. C'est d'ailleurs là qu'il apprendra le suédois. Il entre peu après dans la société de son père et lui succède aux affaires. Le monde des affaires, il le connait bien : il est aussi président du conseil d'administration de la branche française des sociétés suédoises de roulements à billes SKF, et de la société Alfa Laval, spécialisée quant à elle dans les échanges thermiques.

    Raoul Nordling, dans les années 1950. ©Droits réservés

    En parallèle de ces activités, il avance ses pions sur le terrain politique et diplomatique. Il est nommé Vice-Consul de Suède en 1905, alors qu'il a à peine 24 ans, Consul en 1917 et Consul général en 1926, à la mort de son père. Il était certes suédois, mais se sentait surtout "citoyen de Paris", comme il aimait à le dire.

    En mai 1940, alors que l'armée française est déjà au bord du gouffre, il est personnellement contacté par le maréchal Goering pour transmettre de sa part un message au Président du Conseil Paul Raynaud : si la France réclame immédiatement l'armistice, l'issu de la guerre sera plus favorable pour elle. Il est intéressant de noter qu'à ce sujet, cette démarche où Nordling joue les intermédiaires visant à rétablir la paix entre la France et l'Allemagne, fut longtemps passée sous silence. Tenue secrète notamment par Paul Reynaud dans les deux premières versions de ses mémoires (1947 et 1951) et par le gouvernement suédois dans le recueil de documents sur son attitude pendant la guerre qu’il fit paraître en 1947, cette information ne fera surface qu'en 1956...

    Le temps de la solitude

    A partir de juin 1940, une partie de la France est occupée : le gouvernement français part à Vichy et les diplomates étrangers doivent en faire de même. Toutefois, les autorités allemandes autorisent les consuls à rester à Paris. Etant le seul représentant suédois à Paris, il a les coudées franches. Le passage de la ligne de démarcation par les courriers étant compliquée, Nordling passera le plus souvent, pour correspondre avec Stockholm, par Berlin où il connaissait bien le ministre de Suède Arvid Richert.

    © Jérôme Prébois / Film Oblige - Blueprint Film - Gaumont

     En mars 1944, Raoul Nordling rencontre Otto Abetz, l'Ambassadeur allemand à Paris. Ce dernier se laisse aller à quelques confidences : les nouvelles du front russe ne sont pas bonnes. En Allemagne, la lutte d'influence entre les puissants cadres du Parti Nazi a déjà commencé; "Himmler a sa police et Ribbentrop [le ministre des Affaires étrangères du Reich] a la sienne" lui dit Abetz. Dans ses mémoires, rédigées en 1945 sous sa dictée par un de ses proches mais oubliées dans un tiroir jusqu'en 1995 (et éditées seulement en 2002 !), Nordling écrit à propos de cette rencontre : "cette dernière phrase était une confidence, mais c'était nettement la peur qui la dictait. Et j'eus brusquement l'impression que les Allemands, ou du moins certains Allemands dont Abetz, lorsqu'ils se trouvaient dans cet état psychologique, seraient plus sensibles à une pression étrangère. Un jour viendra, pensais-je, où leur découragement pourra être utilisé afin de libérer tous les pauvres Français qui languissent en ce moment dans les prisons de la gestapo en France".

    "Essayez d'adopter une attitude plus humaine à l'égard de la population. Faites-le dans votre intérêt personnel, car bientôt, ce sera votre tour de réclamer à grands cris un traitement humain !" Nordling

     A l'été 1944, tandis que les Alliés gagnent du terrain, les troupes Allemandes reculent et se lancent dans de terribles représailles contre la population civile; le plus effroyable étant celui d'Oradour-sur-Glane, le 10 juin 1944 : 642 civils sont assassinés par la Division SS Das Reich, qui remonte vers le front en Normandie. A Paris, le général Von Choltitz, nommé par Hitler gouverneur, prend ses fonctions le 9 août. De son côté, Nordling a en tête de faire libérer les prisonniers politiques. Leur nombre est difficile à établir. Le 15 août, un convoi de 2 400 déportés quitte Pantin pour l'Allemagne ; le 18, un autre train de 1 600 détenus quitte Compiègne. Par contre, 963 prisonniers avaient été libérés sur ordre du préfet de police Bussières.

    Le général Dietrich Von Choltitz, photographié le jour de sa reddition le 25 août 1944.

     A partir du 15 août, il entame alors une série de cinq rencontres avec Choltitz, tout en multipliant les coups de téléphones depuis le Consulat de Suède, situé rue d'Anjou. Il parvient à sauver de la déportation 3 245 personnes, essentiellement à Fresnes et à Romainville. Et surtout, il réussi à convaincre Choltitz de ne pas mettre à exécution l'ordre de raser la capitale.

    Le 19 août, Paris entre en insurrection. Nordling entre en contact avec les gaullistes qui ont pris la préfecture de Paris et négocie un cessez-le-feu qui permet aux 20.000 soldats allemands de quitter Paris, n'en laissant que 2000 sur place. A partir du 20 août, Nordling et ses assistants ne quittent plus le consulat; ils dorment sur place. La trêve, fragile, n'est pas respectée des deux côtés. Le téléphone sonne sans arrêt, entre les coups de fils passé à Choltitz et à la Préfecture, pour tenter de trouver des hommes de bonne volonté.

    Ci-dessous, des images extraordinaires de la libération de Paris, tournées par le Comité de Libération du cinéma français, un organe de la Résistance :

    Soucieux de limiter les pertes humaines, et aussi parce que les insurgés commencent à manquer cruellement de munitions, Nordling souhaite aller à la rencontre des Alliés et les convaincre de marcher sur Paris, qui n'est pas du tout un objectif prioritaire. Surmené, Nordling fait une crise cardiaque le 22 août; c'est son frère, Rolf, qui ira à la rencontre du général US Bradley. Il donne son feu vert et autorise le général Leclerc à entrer dans Paris le 23. Le 24, les chars de la 2e DB entre dans Paris. Le 25 au matin, Nordling  porte l'ultimatum du colonel Billotte, second du général Leclerc, à Von Choltitz. Conduit dans un Half-track, ce dernier se rend à Leclerc dans l'après-midi, à la Préfecture de Police de Paris.

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