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    I Origins : "Une fiction qui utilise la science" selon Mike Cahill
    Maximilien Pierrette
    Journaliste cinéma - Tombé dans le cinéma quand il était petit, et devenu accro aux séries, fait ses propres cascades et navigue entre époques et genres, de la SF à la comédie (musicale ou non) en passant par le fantastique et l’animation. Il décortique aussi l’actu geek et héroïque dans FanZone.

    Trois ans après "Another Earth", Mike Cahill présente son deuxième long métrage, "I Origins". Pas un film de science-fiction, mais de la "science, fiction" selon le réalisateur. Explications.

    Maximilien Pierrette / AlloCiné & Twentieth Century Fox France

    I Origins n'est que son deuxième film, mais Mike Cahill y prouve son statut de réalisateur à part dans le cinéma indépendant américain. Fascinant, sensoriel et intrigant, son nouveau long métrage est un drame doublé d'une expérience et d'une réflexion sur le pouvoir des yeux, dont il nous a parlé lors de son passage au Festival de Deauville.

    AlloCiné : D'où vous vient cette fascination pour les yeux ?

    Mike Cahill : Ça me vient de la photo très célèbre en couverture du numéro de juin 1985 de National Geographic : celle d'une fillette afghane. Je l'ai découverte quand j'étais enfant et j'ai pensé, comme beaucoup de gens, que c'était une photo stupéfiante. Surtout à cause des yeux très verts de la fille. Et ce n'est que plus tard que j'ai appris l'histoire derrière le cliché et la façon dont Steve McCurry l'a pris dans ce camp de réfugiés : il l'a vue pendant dix secondes, a pris la photo et elle est repartie jouer avec ses amis, sans qu'il ne sache son nom.

    Et tous les jours, pendant dix-sept ans, il a reçu des lettres lui demandant qui était cette fille. C'est pourquoi il a décidé de partir à sa recherche dix-sept ans plus tard : il ne savait pas à quoi elle allait ressembler vu que ce n'était qu'une enfant à l'époque, et il ne pouvait se baser que sur ses yeux. C'est à partir de ce moment-là que j'en ai appris plus sur les yeux : chacun a une paire d'yeux qui lui est propre, comme une empreinte digitale, et ils restent les mêmes de la naissance à la mort.

    Du coup des pays comme l'Inde ont un programme national d'identité dans lequel chacun est identifié par ses yeux, et j'ai trouvé que c'était un paysage intéressant pour y raconter une histoire d'amour. Une histoire sur les différents types d'amours et dans laquelle notre peur de la mort est diminuée. La question de ce qu'il se passe quand nous mourons est très difficile à aborder au cinéma, mais c'est une des choses que je trouve les plus intéressantes.

    Cela signifie-t-il que vous croyez dans la vie après la mort ?

    Pas nécessairement. Ça signifie plutôt que je comprends le pouvoir des histoires. La religion s'en sert, car elle se base sur des récits qui réconfortent. Et ce film utilise la science comme une religion, car dans la vérité qu'elle contient, il y a des histoires capables de vous rendre paisibles. C'est quelque chose qui m'attire.

    Mike Cahill

    La science qui était déjà au coeur de "Another Earth", votre premier long métrage. En quoi ce thème vous fascine-t-il ?

    Laissez-moi vous faire un dessin (voir ci-dessus) : le premier cercle représente tout ce que nous savons le mercredi, et le second tout ce que nous savons le jeudi. La croissance entre les deux, on la doit à la science. Si nous en savons plus le jeudi que le mercredi, c'est grâce au travail des scientifiques. Les artistes veulent raconter des histoires à partir de choses qu'ils savent, tout en racontant de nouvelles choses. Et la nouveauté se situe dans cet espace. J'admire les scientifiques et trouve beaucoup d'inspiration dans leur travail, car je peux m'appuyer dessus pour approcher les émotions humaines.

    Avez-vous fait de nombreuses recherches pour établir cette partie scientifique de "I Origins" ?

    Beaucoup. Mes frères aînés sont tous deux des scientifiques donc j'ai fait les recherches les plus paresseuses qui soient, en traînant avec eux, et en les accompagnant dans leurs laboratoires. Non, j'ai quand même fait plus de recherches que ça, en regardant notamment la façon d'extraire de l'ADN. Mais tout ce que l'on voit dans le film existe et proviennent d'expériences auxquelles j'ai assisté.

    Tout ce que l'on voit dans le film existe

    Même si l'aspect scientifique du film repose sur des choses qui existent déjà, peut-on quand même dire qu'il s'agit de science-fiction ?

    Il est difficile de ranger le film dans une catégorie. La classification sert généralement au marketing, et les genres peuvent aider à maximiser le nombre de spectateurs. Mais ce ne sont que des raccourcis : I Origins est-il un film de science-fiction ? Non, pas vraiment. C'est un drame. Une histoire de "science, fiction" et non "science-fiction". Une fiction qui utilise la science. Mais s'il y avait un genre appelé "science/esprit/fiction/drame", il rentrerait dedans. Mais il faut quelque chose comme 40 films pour créer un genre, comme le found footage, qui est nouveau et qui est né parce que beaucoup de longs métrages y correspondent. Il nous faut encore inspirer plusieurs réalisateurs pour officialiser le mien.

    J'ai lu que vous aviez écrit le rôle principal pour Michael Pitt : en quoi vous semblait-il parfait pour incarner ce personnage ?

    Premièrement c'est un acteur brillant. Ses choix sont surprenants et authentiques et je trouve ça excitant : si un personnage doit faire un choix surprenant mais que cela paraît authentique, c'est pour moi la recette d'une performance incroyable. Ce n'est pas forcément ce à quoi l'on s'attend, mais c'est entièrement crédible. Michael possède cette aptitude, et je ne l'avais jamais vu dans un tel rôle auparavant.

    Mais je sentais qu'il avait ça en lui : il me faisais plus penser à un scientifique que la façon dont le cinéma les présente en général. Il y a tellement de clichés dans les films, alors qu'ils ne sont pas comme ça. Michael est quelqu'un de cool, badass et talentueux, et j'éprouve la même chose pour lui, en tant qu'artiste, que pour les scientifiques. Donc boum !, rassembler ces deux idées est juste parfait.

    Jelena Vukotic

    Il se dit également que le choix d'Astrid Bergès-Frisbey a été motivé, entre autres, par ses yeux.

    La vraie raison, c'est qu'elle est talentueuse et brillante, et nous aurions pu lui donner ces yeux par ordinateur, comme c'est le cas avec la petite fille [que Michael Pitt croise en Inde, ndlr]. Mais il se trouve qu'Astrid a VRAIMENT ces yeux. Ça n'est pas tout à fait ce qui a motivé mon choix, mais c'était un vrai bonus qu'elle possède des yeux magnifiques. Et particuliers : marrons au centre et verts sur l'extérieur.

    Ce qui est très rare.

    Oui. On appelle ça une hétérochromie sectorielle et seule une personne sur plusieurs milliers la possède.

    Vous dirigez à nouveau Brit Marling, qui était co-scénariste sur "Another Earth". A-t-elle travaillé avec vous sur le scénario de "I Origins", même si elle n'était qu'actrice ?

    Brit est une collaboratrice merveilleuse. Elle ne m'a pas donné de conseils particulier sur le scénario, car elle aimait l'idée de n'être que l'interprète de Karen. Mais c'est quelqu'un dont l'opinion et l'intelligence sont des atouts incroyables, dont on peut tirer parti. Je ne suis pas vraiment un dictateur sur le plateau : il y a des choses très spécifiques que je veux faire, mais je suis également ouvert aux suggestions de personnes dont je sais qu'elles font bien leur travail. Si vous passez des heures à travailler pour approfondir votre personnage, je sais que je peux vous faire confiance, car ça signifie que vous avez plongé profondément, vers le fond de l'océan. Donc si vous en rapportez des cailloux, j'aurais forcément envie d'y jeter un oeil.

    Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Deauville le 11 septembre 2014

    La bande-annonce de "I Origins" :

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