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    Odile Vuillemin: "Si on arrive à libérer la parole avec L'Emprise, on aura tout gagné."

    Odile Vuillemin, Marc Lavoine et Fred Testot, les comédiens principaux du téléfilm de Claude-Michel Rome, répondent à nos questions sur cette adaptation de l'histoire d'Alexandra Lange qui devrait logiquement faire parler...

    JULIEN CAUVIN / LEONIS / TF1

    Diffusé ce lundi 26 janvier sur TF1, L'Emprise raconte l'histoire vraie d'Alexandra Lange, une mère de quatre enfants se retrouvant en mars 2012 dans le box des accusés des Assises de Douai pour le meurtre de son mari. Un homme qui l’a battue et torturée pendant leurs dix-sept ans de mariage...

    Ecrit et réalisé par Claude-Michel Rome, ce téléfilm est âpre, sans concessions, ne reculant pas devant l'image de la violence domestique, essayant aussi de disséquer le mécanisme d'emprise psychologique, une manipulation tellement intime qu'elle en devient parfois insondable. Alexandra Lange est incarnée par Odile Vuillemin, la star de Profilage, méconnaissable et bouleversante...

    LE TOURNAGE

    AlloCine : A quel moment un personnage de scénario qu'on lit devient "son" personnage ?

    Odile Vuillemin : Quand le tournage débute. Je suis toujours terrorisée par la phase de préparation. Je me dis toujours que je n'y arriverai pas, que je ne trouverai pas l'émotion... Pour tous les rôles et même encore maintenant sur Profilage. Je fais un gros travail de préparation, quasiment sans toucher le scénario, et je note des questions, beaucoup de questions... (Rires) J'ai besoin de tout comprendre pour retranscrire toutes les émotions et savoir tout ce qui se joue en dit et en non-dit. Je laisse ensuite infuser tout cela pour arriver sur le plateau en étant capable d'improviser. Si j'intellectualise beaucoup avant, et même peut-être trop, ce n'est plus le cas une fois le tournage débuté. Je laisse la magie du plateau opérer et je pars en improvisation, pas sur le texte mais sur le jeu. Je prends ce qui se passe sur le lieu, avec les partenaires, le réalisateur... Je me connecte à un niveau purement émotionnel pour que cela devienne un personnage incarné, qui ne peut pas être simplement intellectualisé ou dans l'émotion. Mon égo se situe uniquement à ce niveau-là : essayer d'être la plus juste possible dans l'émotion. Cela permet aussi, à mon avis, de faire passer beaucoup plus efficacement un message. Cela se joue d'émotion à émotion, d'inconscient à inconscient.

    AlloCine : Le tournage de "L'Emprise" a justement débuté avec les scènes de tribunal. Ce n'est pas inhabituel de tourner dans le désordre. Mais est-ce que le fait de débuter par la fin, connaissant la trajectoire subie par votre personnage, a compliqué les choses ?

    Odile Vuillemin : Même si c'est quelque chose qui m'a longtemps gêné, j'y suis habituée désormais. Effectivement j'ai dû débuter mon interprétation d'Alexandra Lange par la scène finale, sans avoir affronté la moindre violence. Ce qui est intéressant dans cette chronologie de tournage, c'est qu'elle m'a permis  de faire en sorte que ce procès devienne le "moment" où elle réalise, même si évidemment ce n'est pas en accord avec la réalité car dans les faits il y a 18 mois de préventive avant. Le procès a un peu été le moment le plus difficile à tourner parce que c'était là que tout sortait, tout ce que j'avais créé, tout ce que j'avais inventé du personnage... Personnellement le procès a été tellement intense et fatigant que c'était finalement une bonne chose de le tourner au début.

    Odile Vuillemin: Le procès a un peu été le moment le plus difficile à tourner parce que c'était là que tout sortait, tout ce que j'avais créé.

    AlloCine : Le téléfilm est pesant, violent même dans certaines séquences, et s'achève avec un monologue à la dimension humaine et scénaristique déterminante. Et ce monologue repose sur vos épaules...

    Marc Lavoine : Pas vraiment sur moi. Ce monologue libère chez le téléspectateur l'espoir. Il résume à lui seul toute l'émotion créée et accumulée durant le téléfilm. C'est une vraie passerelle entre le spectateur et cette histoire. Mais très honnêtement ce n'est pas dû à moi.

    AlloCine : Ce n'est pas totalement vrai. Même s'il s'agit du texte original, il y a l'interprétation, les pauses, les intentions...

    Marc Lavoine : Cette interprétation du réquisitoire de Luc Frémiot est une proposition que j'ai faite au réalisateur Claude-Michel Rome. Je suis parti avec mon texte tout seul sous le bras et j'ai commencé à travailler le personnage avec cette plaidoirie. Dans ce texte, il me semble, il y a tout le chemin parcouru par cet homme pour prendre sa décision. Sans posture, sans être militant ou politique, il n'était ni complaisant, ni dans le jugement, il est là pour prendre une décision qu'il estime la plus adaptée. Comme il s'agit du combat de sa vie, en tant qu'acteur oui il y avait une responsabilité. J'ai fait une proposition. J'ai joué la scène au metteur en scène dans ma chambre d'hôtel. Il s'agissait de s'adresser à tout le monde et à chacun. Il fallait aussi trouver une voix. Pas une voix réelle, ni de théâtre, une voix de justice. Idem pour les mouvements. Il fallait également créer des ruptures d'équilibre dans le texte pour appuyer des choses, chuchoter par moment des choses qui pouvaient s'entendre de partout et parfois clamer... Ce monologue s'est créé ainsi. Mais aussi parce qu'il y avait ces acteurs, ce metteur en scène, cette histoire... Et je n'oublie pas non plus ce martèlement envers Alexandra, donc Odile, avec ces variations pour essayer de découvrir ce qu'elle cache. J'avais en tête une référence comme The Reader, dans lequel la honte est la raison de la condamnation. Et la puissance de cette scène vient aussi du fait que la mèche n'est pas vendue avant. Le metteur en scène a été assez malin pour couper les mots ou les scènes qui pouvaient diriger le téléspectateur vers le réquisitoire de la fin et donner une indication.

    JULIEN CAUVIN / LEONIS / TF1

    LES PERSONNAGES

    AlloCine : Tout au long du téléfilm, votre personnage est la voix de la raison. Celui qui essaie de garder une certaine objectivité par rapport aux événements. Et cette apparente froideur est justement irritante pour le téléspectateur, qui a envie de verser dans l'émotion et non dans la raison.

    Marc Lavoine: Il fallait s'arrêter au bord et donner au réquisitoire la possibilité de libérer cette émotion. Le procureur en général ne peut pas être dans la complaisance ou la connivence. Il cherche la vérité objective. Il n'a pas le droit de faire de cadeaux.

    Pourquoi avoir décidé de ne rencontrer le procureur Luc Frémiot qu'après le tournage ?

    Marc Lavoine : Parce que je ne suis pas infaillible au syndrôme du sosie. Son réquisitoire est visible d'ailleurs en partie en ligne... Mais pour préparer, j'ai rencontré des avocats. Avant de le tourner, je voulais trouver une voie commune par le travail et l'humilité, découvrir cela "comme un enfant". J'ai vu beaucoup de biopics, j'en adore certains, mais ça aurait été risqué par exemple d'étudier comment il se tenait... Je suis pour l'incarnation et non la restitution. Il faut conserver l'esprit d'un homme et de son travail, c'est fondamental. J'y suis allé avec mon humanité, ma rigueur, mon exigence, en espérant que ce soit à la hauteur du personnage. J'avais déjà peur. A quoi cela servait d'aller l'observer faire quelque chose qu'il fait de toute façon mieux que moi ! J'ai découvert d'ailleurs L'Emprise pour la première fois lors d'une projection à laquelle Frémiot assistait. Il était assis avec sa femme devant moi. Pendant la projection, sa femme se penchait pour lui dire certaines choses. J'ai vu le film dans des circonstances particulières ! (Rires)

    Marc Lavoine: Je suis pour l'incarnation et non la restitution. Il faut conserver l'esprit d'un homme et de son travail, c'est fondamental.

    AlloCine : On dit parfois que pour interpréter un personnage, il faut trouver sa part d'humanité. Il est particulièrement compliqué d'en trouver à Marcelo, que vous interprétez...

    Fred Testot : Je n'ai pas réellement pensé à cela, à vrai dire. J'ai vraiment essayé de me tenir au scénario, de rester sur sa façon de parler et de manipuler, de suivre l'escalade de la violence dans sa tête. Je n'ai pas cherché à comprendre s'il était schizophrène, pervers narcissique ou fou, même si "fou" veut dire beaucoup de choses au final. J'ai voulu suivre leur histoire et son évolution, laquelle démarre comme une histoire d'amour normale, sachant qu'il envisage cette normalité ainsi, par la violence. S'il n'est pas d'accord, il tape. Pour vous et moi, il est impensable, même dans un grand élan d'énervement, de réagir par la violence. Lui, il tape. Mais je n'ai pas cherché à le comprendre ou à l'aimer. Ça n'a pas été ma façon de procéder pour Marcelo. Je me suis laissé porter par le film, par les scènes, petit à petit, avec le jeu et grâce au réalisateur. Evidemment L'Emprise n'est pas un téléfilm comme les autres de ce point de vue, avec ses scènes intenses, où on se jette sur quelqu'un avec violence... Entre les prises on avait besoin de déconner, de rigoler et de boire un café, de vérifier aussi qu'on ne se soit pas fait mal. D'autant plus, encore une fois, que ces scènes avec Odile étaient vraiment violentes, il ne fallait absolument pas se blesser. Mais il est vrai que ce n'est pas une expérience anodine. A la fin du tournage, il m'a bien fallu une semaine pour évacuer. Toute cette tension c'est quelque chose que je ne connaissais pas. Chaque aventure est nouvelle pour moi, je n'arrive jamais en me disant "Je sais faire !" Je pars du principe que je vais aussi apprendre de mes partenaires, de mon metteur en scène et que le mélange des genres et des méthodes est intéressant. J'adore ça. Quand j'ai vu le bout-à-bout du film, j'étais fébrile.

    JULIEN CAUVIN / LEONIS / TF1

    Odile Vuillemin est connue pour "Profilage" et dans "L'Emprise" elle est méconnaissable. Qu'a-t-elle de si particulier ?

    Marc Lavoine : Odile a une forme de conscience et d'inconscience. Elle sait reprendre conscience assez vite. On pouvait très bien rire entre deux scènes de procès où je venais de lui faire violence. J'ai connu des femmes un peu comme elles, comme Catherine Ringer par exemple, qui sortent du cadre. Odile est assez originale. Elle n'est pas une femme qui veut être reconnue dans la rue mais pour son travail. Elle ne fait pas la vedette. Elle est actrice. Et elle a beaucoup de talent. Il y a une forme d'intégrité très touchante chez elle.

    LA CAUSE

    Etes-vous fier de ce film ?

    Fred Testot : Non je ne suis pas fier, parce que cela ne se situe pas à ce niveau-là pour moi. Je suis content. Vraiment. Ce qu'on voulait montrer au début, ce qu'on pensait faire, que ce soit au niveau du jeu ou du montage, on l'a fait. Je suis content car ça fonctionne. J'espère que ça va plaire à pleins de gens et que cela permettra de parler de ce sujet horrible. On pense être privilégié en France et pourtant on voit les chiffres... Je suis heureux, profondément, mais je ne suis pas sûr que "fier" soit le mot.

    AlloCine : On ne peut pas dissocier le téléfilm de la cause qu'il représente. Est-ce qu'il y a une part de responsabilité supplémentaire, y compris à l'écran, quand joue dans une telle production ?

    Marc Lavoine : Depuis de nombreuses années, je travaille avec une fondation sur l'autisme. Après, j'ai voulu étendre ce combat à toutes les luttes contre les discriminations. J'ai réalisé alors que les femmes étaient les premières victimes de la discrimination dans le monde entier, avant la couleur de la peau, avant le handicap. Ce sont elles qu'on tape le plus, ce sont elles qu'on tue le plus... Je ne sais pas pourquoi, ou plutôt je n'arrive pas à le comprendre et à l'accepter. Soit on vit avec cela, soit on tente quelque chose. Pour éclairer et pour changer. Une femme qui meurt tous les 2 jours sous les coups de son mari, c'est une réalité.

    Fred Testot: On pense être privilégié en France et pourtant quand on voit les chiffres de violence domestique...

    Et c'est un coup de massue à la fin de "L'Emprise" aussi, avec ces statistiques sur le nombre de victimes de cette violence...

    Marc Lavoine : Luc Frémiot, le procureur, a passé sa vie à mener ce combat. Certaines personnes en sont capables. Et il n'en tire aucune gloire. Personnellement, je suis content d'avoir rencontré ce personnage avant de l'avoir rencontré lui. J'ai essayé d'interpréter ce personnage avec le plus d'honnêteté possible, sans faire attention à moi. Quand je l'ai rencontré à la fin du film, j'étais heureux.

    AlloCine : Un des éléments les plus intéressants du téléfilm est ce mécanisme d'emprise. Une manipulation qui joue sur plusieurs niveaux : psychologique, physique...

    Odile Vuillemin : En faisant ce film, je me suis dit qu'on allait gagner cette bataille si on arrivait à faire comprendre ce mécanisme d'emprise. A l'expliquer. Il fallait montrer aux spectateurs à quel point il était impossible pour Alexandra de partir. Au-delà, je voulais vraiment que les gens ne puissent pas se dédouaner de cela. Je voulais qu'ils soient face à cette réalité et puissent en parler. Cela touche tout le monde et tous les niveaux : la société, le politique, la famille, la vie de couple... L'emprise est un mécanisme d'une telle perversité. Et on a tous connu, à un niveau ou à un autre, une forme d'emprise.

    AlloCine : Compte tenu de tous ces éléments, pensez-vous qu'un téléfilm comme "L'Emprise" a un rôle sociétal à jouer ?

    Odile Vuillemin : Oui. Si on arrive à libérer la parole, on aura tout gagné. C'est le premier pas vers la guérison.

    Propos recueillis par Thomas Destouches à Paris le 5 janvier 2015

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