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    Mon Fils : le réalisateur Eran Riklis évoque "une histoire d'amour réaliste"
    Corentin Palanchini
    Passionné par le cinéma hollywoodien des années 10 à 70, il suit avec intérêt l’évolution actuelle de l’industrie du 7e Art, et regarde tout ce qui lui passe devant les yeux : comédie française, polar des années 90, Palme d’or oubliée ou films du moment. Et avec le temps qu’il lui reste, des séries.

    AlloCiné a pu rencontrer le réalisateur Eran Riklis et revenir avec lui sur son nouveau film "Mon Fils", actuellement à l'affiche. Le metteur en scène y aborde sans tabou la montée des tensions entre communautés.

    Pyramide Distribution

    A l'occasion de la sortie de Mon Fils (actuellement dans les salles), AlloCiné a pu rencontrer le réalisateur isréalien Eran Riklis et revenir avec lui sur la génèse et les thèmes de son film, et bénéficier de son regard sur les récents événements survenus en France et les tensions entre les communautés juives et arabes, qui sont au coeur de son cinéma.

    Le jeune Iyad est victime des préjugés des Israéliens envers les Arabes. Mais je pense surtout que votre film est centré sur ce personnage d’Iyad, enfant qui grandit dans un contexte difficile et sur la façon dont cela a marqué son adolescence.

    Je trouve que c’est une bonne définition, oui. J’ai fait beaucoup de films sur le conflit [israelo-arabe] avec Les Citronniers, La Fiancée syrienne, mais ce qui m’intéressait surtout ici, c’était le passage à l’âge adulte. Et c’est amusant car nous connaissons les codes de ces films -le premier amour, qui est d’abord le plus grand amour puis une déception, mais avec le fait que le garçon représente une minorité, celase mêle avec le conflit, et c’était un défi intéressant à relever. J’essaye toujours de faire des films qui ont un sens, mais aussi qui tendent vers un large public. Ça n’a pas de sens de faire des films pour les Cinémathèques.

    Le scénario provient de deux livres. Combien de temps a-t-il fallu à Sayed Kashua pour n’en faire qu’un scénario et quelle a été votre implication sur le processus d'écriture ?

    Sayed a vendu les droits du livre en Europe il y a bien longtemps, dans l’idée de produire un film qui ne s’est jamais fait. Entretemps, il avait écrit un second roman. (…) Et il a mis des années à faire de ces livres un film. Nous avons travaillé ensemble un an sur le scénario. En même temps, je faisais Zaytoun. La difficulté était d’équilibrer l’histoire d’enfance avec le reste du film. Il fallait que cela soit une introduction et pas plus. C’était un travail intéressant car le sujet était très personnel pour Sayed, et après en tant que réalisateur j’arrive sur le projet et l’histoire devient la mienne (rires).

    Ça n’a pas de sens de faire des films pour les Cinémathèques".

    Les mères d’Iyad et de Naomi sont des personnages opposés. Quelle était votre intention avec ces personnages aussi symboliques ?

    La mère d’Iyad représente la base émotionnelle. Il peut la croire. Elle sait qu’il a un ami juif, mais ça ne pose pas de problème. Souvent dans les films, on nous présente ce stéréotype sur les femmes arabes : elles sont bruyantes, et j’aimais chez Laëtitia [Eïdo] cette présence silencieuse. Elle est très belle, très intelligente elle voit tout, elle sait tout, et n’a pas à beaucoup parler (…). Je pense qu’elle est sa base de départ. Quant à la mère de Jonathan, elle est un peu sa mère mais surtout, elle est un peu la mère de toutes les mères. (…) A un moment dans le film, elle voit [le personnage de] Yaël [Abecassis] pour la première fois. Iyad vient frapper à sa porte, explique qu’il vient s’occuper de Jonathan, on voit qu’elle entend son accent arabe mais elle ne le relève pas, et je crois que tout l’intérêt de ce personnage est là.

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    "Mon fils" raconte une histoire d’amour dans les années 90, mais une triste histoire. L’amour est battu par la peur et la haine. Pensez-vous qu’aujourd’hui l’amour entre l’arabe Iyad et la juive Naomi serait aussi difficile aujourd’hui ?

    Je crois que la réponse est double. Peut-être que cela serait plus facile car le monde change. Mais d’un autre côté, ce serait toujours aussi difficile. Le monde est de plus en plus petit : on tombe amoureux sur Facebook (rires) ! Et je crois que la haine tue ça. On voit cela à Paris en ce moment, tout est plus radical. C’est une question intéressante car nous sommes en 2014 et je vois qu’on parle encore de tabous alors que nous sommes dans un monde nouveau ! Tout se répète. Aujourd’hui la vieille génération (…) qui a grandi dans les années 60 dans le monde occidental est plus ouverte, mais finalement avec la patine du temps, on constate que les gens sont déçus et se referment.

    A mon avis les Juifs sont supposés intelligents, ouverts, mais d’un autre côté en 2014 on sent qu’ils ont peur de la montée de l’antisémitisme, dont ils pensent qu’ils doivent se protéger, et donc qu’on ne peut pas être en couple avec une Arabe parce qu’il faut se protéger, et voilà. Mais je reste optimiste (…). D’ailleurs Naomi, la jeune juive, n’est pas prête à aller jusqu’au bout avec Iyad, et c’est lorsqu’elle a vraiment à choisir, elle refuse d’aller plus loin. C’est triste, mais réaliste dans ce genre de relations.

    En France, les tragiques actes terroristes survenus a créé beaucoup de tensions entre les communautés juives et musulmanes. Quel est votre regard sur ces événements ?

    Lorsque je regarde la France, je dis toujours : je viens d’Israël, et je connais cette situation. Lorsque je regarde ces événements tragiques, l’attaque sur le supermarché juif, et qu’on regarde la biographie du terroriste, on dirait un mauvais film. Il a grandi dans un quartier difficile, les parents sont décédés, deux frères s’élèvent eux-mêmes, ils deviennent de plus en plus radical dans leur conception de la religion et deviennent des machines à tuer.

    Ce qui s’est passé est inacceptable. Mais c’est aussi un signal d’alarme pour la France, Israël, l’Amérique. Il faut analyser ces événements et trouver un moyen d’aider les gens qui sont sur cette brêche, perdus et faciles à manipuler. Les gens accusent l’Islam mais ce n’est pas le problème. Et c’est pour cela que je fais des films : pour contribuer à une meilleure entente.

    Selon vous donc, le cinéma est la meilleure voie vers une réconciliation ?

    Je ne pense pas que cela soit la meilleure solution. Depuis que je suis né, on se demande si les films peuvent changer le monde : non ! Mais bien sûr que les livres et les films de cinéma touchent habituellement une grande part de la population. Avec la télévision, ils ont une longue durée de vie. Donc les films doivent participer à créer le débat.

    Avec Mon fils, beaucoup d’Arabes viennent au cinéma, je vois cela par le compte Facebook du film. Ce qui fait plaisir. Et de façon intéressante, j’ai des messages de gens de droite qui ont vu le film, qui ont ri, pleuré, me remercient.

    "Mon Fils" d'Eran Riklis, actuellement sur les écrans :

    Propos recueillis par Corentin Palanchini le 23 janvier 2015 à Paris.

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