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    FIFIB 2016 - Compte tes blessures : rencontre avec le réalisateur Morgan Simon
    Brigitte Baronnet
    Passionnée par le cinéma français, adorant arpenter les festivals, elle est journaliste pour AlloCiné depuis 12 ans. Elle anime le podcast Spotlight.

    Après un passage remarqué à San Sebastian et St Jean de Luz, Compte tes blessures, premier long métrage très réussi de Morgan Simon, était présenté hier en avant-première au Festival International du Film Indépendant de Bordeaux. Rencontre.

    Pierre Planchenault / Kazak Production

    Compte tes blessures commence tout juste sa carrière en festivals, et cumule déjà les distinctions : deux prix au Festival de Saint Jean de Luz (dont le convoité prix du jury jeunes), une mention spéciale du jury à San Sebastian... Ce week-end, le film était présenté en avant-première (hors compétition) au Festival International du Film Indépendant de Bordeaux, où le film a été chaleureusement accueilli. 

    Porté par Kévin Azaïs (Les Combattants), dans un rôle physique, (très) tatoué, et impressionnant en chanteur de post hardcore, Nathan Willcocks (qui a déjà tourné à plusieurs reprises pour les courts métrages de Morgan Simon) et Monia Chokri (Les Amours imaginaires, Réparer les vivants), ce premier long métrage impressionne par sa maitrise et son intensité. La sortie du film est prévue le 1er févier 2017. Rencontre avec son réalisateur Morgan Simon. 

    AlloCiné : Vous êtes devenu cinéphile "sur le tard". Pouvez-vous nous raconter votre cheminement vers le cinéma, et donc ce premier long métrage, Compte tes blessures, présenté au 5ème Fifib ?

    Morgan Simon, réalisateur et scénariste : Jusqu’à l’âge de 20 ans, je n’allais jamais au cinéma. Ca ne m’intéressait pas trop. Mes parents ne viennent pas du tout de ce milieu artistique et n’ont pas du tout cette culture-là. Et je n’avais pas forcément l’argent pour aller au cinéma. J’ai fait des études de biologie. Je m’engageais plutôt dans une carrière scientifique. J’ai fait deux ans de biologie, j’ai eu mon diplôme, mais j’ai senti que je n’allais pas faire ça toute ma vie, disséquer les grenouilles.

    Je me suis un peu réorienté dans une autre filière qui est la communication. C’est là où j’ai rencontré un professeur qui nous a demandé de faire des films. C’était dans le cursus. J’y ai pris goût, il m’a soutenu, la classe aussi. J’arrivais à raconter des choses alors que je n’avais aucune notion de ce qu’était une caméra, la grammaire du cinéma. Je me suis alors dit que ça pourrait être intéressant de continuer. Je faisais plein de choses tout seul : tourner, monter… Mais j’avais l’impression d’être arrivé au bout de ce que je pouvais apprendre tout seul.

    J’ai tenté le concours de la Fémis, j’ai pris un petit temps pour y réfléchir et me nourrir surtout de films. En entrant à l’école, c’est là où les choses se sont vraiment ouvertes. J’ai pu grappiller tout ce que je pouvais pour faire des films. Mais sans forcément au départ me dire que je voulais être réalisateur. Je suis entré en scénario, je voulais écrire des films, c’est ça qui m’intéressait, et je me suis rendu compte au fur et à mesure que j’aimais bien travailler avec les acteurs surtout. Et finalement les films que j’allais écrire, personne n’allait les réaliser vraiment.

    Tout à l’heure, à l’issue de la projection, vous encouragiez les festivaliers à aller voir le film Grave de Julia Ducournau, issue de La Fémis comme vous. Diriez-vous qu’il y a une forme de solidarité entre anciens de La Fémis ?

    Je ne sais pas si c’est de la solidarité, c’est juste que la Fémis a souvent été associée, et sans doute à raison, à un certain type de cinéma français, un peu gris, un peu chiant… Finalement on se rend compte depuis quelques années qu’il y a un autre type de cinéma qui émerge de cette école, qui soit vers le film de genre, ce qui est le cas de Julia Ducournau, soit vers des films plus esthétisants et qui recherchent autre chose, par exemple avec le film de Jonathan Vinel qui est là avec Caroline Poggi, et qui sont au Fifib cette année aussi. Ca amène une autre dynamique, quelque chose qui n’est pas ce qu’on attendait de l’école il y a quelques années en fait.

    Quelles sont vos références chez les réalisateurs français ?

    Maurice Pialat par exemple, qui est un peu une référence pour beaucoup, en terme purement de personnages. Des films qui ne fonctionnent que sur des sentiments. Ca me touche beaucoup. Il y a le pendant américain avec Cassavettes. Dans le cinéma français, je pourrais aussi citer Jean Vigo. C’est une façon de traiter la réalité qui est très différente, qui est beaucoup plus douce, belle.

    Pour Compte vos blessures, vous citez comme référence Shotgun Stories de Jeff Nichols et Il était une fois un père d’Ozu.

    Oui, ce sont des références pour écrire le scénario, dans sa simplicité. Comment avec une histoire très très simple, on arrive à aller assez profondément finalement. Pour le film d’Ozu, c’est un peu l’inverse de mon film, dans le sens où c’est une relation père-fils qui est idéalisée. C’est très beau, très simple. Dans Compte tes blessures, c’est au contraire des conflits permanents qui amènent à une forme de catharsis.

    Comment présenteriez-vous l’intrigue du film ?

    C’est une histoire de famille bercée par du rock alternatif. Le cœur du film étant vraiment les relations père-fils, l’amour, et finalement la musique, elle intervient autour du film. Elle fait jaillir des choses de ces relations aussi.

    Et c’est d’ailleurs un genre de musique, le post hardcore, que vous affectionnez particulièrement…

    Oui, j’en écoute toujours, depuis une dizaine d’années. Il y a différents styles par rapport à cette musique là. Il y a un album de Dance Gavin Dance qui vient de sortir que j’écoute en boucle en ce moment. Ce qui me permet aussi d’avoir un point de vue critique sur la musique : dans ce type de musique alternatif, les groupes sont sponsorisés, il y a quand même quelque chose de marketing, ce qui n’était pas le cas il y a des années. Le propos politique est moins présent. 

    Cette musique a aussi guidé le choix du titre…

    Le titre du film, c’est vraiment le point de départ du film. En général, je pars toujours d’un titre, ce qui me donne une énergie, ce qui lance vraiment vers ce qu’est le film. Dans le film, Kévin Azaïs porte un tatouage qui est un détournement d’une expression anglo-saxone qui est Count your blessings, qui est aussi le titre d’un album d’un groupe très important dans ce style de musique, Bring Me The Horizon. C’est comme un pied de nez au titre de cet album.

    Il y a quelque chose d'assez instinctif qui se dégage de votre film...

    C’est un cinéma de jaillissement en fait. Avec ses maladresses possibles. Mais aussi avec ces découvertes qui sont au fond de nous. Tout l’enjeu du tournage, c’est de dépasser le scénario et de découvrir ses trucs qui sont au fond de nous. Il y a des scènes qui ont jailli du tournage qui n’étaient pas écrites. On ne s’est pas contenté de suivre le scénario, même si c’était solide, et que c’était le film que je voulais faire. Le scénario est une base et le tournage est l’étape suivante. C’est un piédestal pour aller ailleurs.

    Parlons du casting. Comment avez-vous eu l’idée de faire appel à Kévin Azaïs ?

    J’ai rencontré Kévin Azaïs dans un atelier qui s’appelle Emergence, qui me permet de réaliser deux ou trois scènes de son premier long métrage. Je l’ai associé à Nathan Willcocks et j’ai vu qu’ensemble il y avait comme des étincelles. Ca présageait des choses vraiment fortes. Il faut aussi rendre hommage à Nathan qui est un acteur avec qui j’ai fait beaucoup de courts métrages. Lui, au contraire du personnage de Kévin Azais, ne peut pas montrer beaucoup de facettes. Il doit rester très ferme. Monia Chokri est aussi vraiment magnifique dans le film. Elle apporte beaucoup de profondeur au film et aussi beaucoup d’humour.

    Comment avez-vous découvert Nathan Willcocks ?

    Je l’avais rencontré en première année à la Fémis. Il a un parcours assez particulier. Il est britannique, il est passé en Espagne, en France. Il a un côté très anglo-saxon tout en jouant en français. Il a quelque chose de très physique, qui amène beaucoup de tension et d’humanité. 

    Un extrait du film :

     Propos recueills par Brigitte Baronnet le 15 octobre 2016, au Festival International du Film Indépendant de Bordeaux

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