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    Les Nouvelles Aventures de Sabrina saison 3 : quand les sorcières prennent le pouvoir
    Julia Fernandez
    Julia Fernandez
    -Journaliste Séries TV
    Elevée à « La Trilogie du samedi », accro aux séries HBO, aux sitcoms et aux dramas britanniques, elle suit avec curiosité et enthousiasme l’évolution des séries françaises. Peu importe le genre et le format, tant que les fictions sortent des sentiers battus et aident la société à se raconter.

    Matriarcat, inclusivité, renversement du pouvoir... La nouvelle saison des Aventures de Sabrina sur Netflix continue sa relecture féministe et moderne de la figure de la sorcière.

    Netflix

    Après une saison 2 militante qui s'attaquait au "Boys Club" et dénonçait le patriarcat régnant à l'Académie des sorciers, Les Nouvelles Aventures de Sabrina reprennent à un moment-charnière. Désormais débarrassées du Père Blackwood et de ses sbires, Sabrina et ses tantes, Zelda et Hilda, se retrouvent à la tête d'une école sans Directeur... et d'un royaume des Enfers temporairement régi par Lilith, l'ex-Madame Satan. Mais après avoir renversé le pouvoir en place, comment rebatir de nouvelles fondations plus égalitaires, et surtout comment se prévenir du Mal ?

    Réhabiliter la sorcière

    Dans une interview au Figaro en 2018, Kiernan Shipka déclare que Les Nouvelles Aventures de Sabrina sont "une relecture féministe" de la série des années 1990 dont elle s'inspire, puisqu'elles s'inscrivent dans une mouvance de réhabilitation de la figure de la sorcière qui s'opère depuis une dizaine d'années.

    L'héroïne, devenue une puissante sorcière après avoir rejoint l'Eglise de la Nuit, a vu sa chevelure tourner au blanc. Si le cheveu blanc est traditionnellement associé à la vieillesse et à la laideur dans la représentation de la sorcière, il traduit ici la force grandissante de l'héroïne à mesure que ses nouveaux pouvoirs se développent. Cette transformation capillaire coïncide également avec le moment où elle se rapproche de Nick et s'ouvre à la sexualité. Un gage de maturité et d'émancipation autant que de pouvoir !

    Netflix

    Par ailleurs, à la fin de la saison 1, dans l'épisode intitulé "la Nuit de la Sorcière", Sabrina doit trouver le moyen d'apaiser les esprits des treize sorcières de Greendale, traquées et pendues par des hommes de la ville deux siècles plus tôt. En sauvant les habitants de leur colère et en libérant leurs âmes tourmentées, elle effectue une sorte de devoir de mémoire symbolique pour réparer l'injustice commise. En effet, lors de la Renaissance, plusieurs centaines de milliers de femmes furent torturées et brûlées pour sorcellerie, lorsque celles-ci étaient en réalité des guérisseuses dans les campagnes, des femmes émancipées, célibataires ou veuves, ou encore accusées d'avoir entâché l'honneur de leurs familles et de leurs époux. Un simple soupçon ou une dénonciation pouvait conduire une femme devant les tribunaux populaires et la condamner au bûcher, comme l'explique Mona Chollet dans le bestseller Sorcières - la puissance invaincue des femmes. Dès lors qu'une femme "dérangeait trop", on l'accusait de sorcellerie.

    La jeune Sabrina, en révolte permanente contre une autorité oppressive et patriarcale symbolisé par le Seigneur des Ténèbres, incarne parfaitement cette figure à l'aune des années 2020 dans une série principalement destinée aux adolescent(e)s. Comment expliquer "cette vogue inédite" et cette popularité nouvelle de la sorcière et de ses pratiques parmi les nouvelles générations ? Pour Mona Chollet, "celles et ceux qui pratiquent la sorcellerie ont grandi avec Harry Potter, mais aussi avec les séries Charmed - dont les héroïnes sont trois soeurs sorcières - et Buffy contre les vampires - où Willow, d'abord lycéenne timide et effacée, devient une puissante sorcière-, ce qui peut avoir joué un rôle.

    La magie apparaît paradoxalement comme un recours très pragmatique, un sursaut vital, une manière de s'ancrer dans le monde et dans sa vie à une époque où tout semble se liguer pour vous précariser et vous affaiblir.

    Renverser le status quo

    Dans la saison 2, Sabrina se voyait confrontée à l'influence grandissante du Père Blackwood sur les sorciers de l'école. En voulant se présenter à l'élection du Top Boy de l'école (sorte de délégué principal), elle conteste une tradition ancestrale requiérant de toujours élire des membres du sexe masculin, et va s'attirer les foudres du Directeur et devenir l'ennemi à abattre. De la même façon, elle conteste l'ordre établi en s'opposant à son géniteur, Lucifer, en refusant de siéger à ses côtés et d'exécuter son terrible plan d'ouvrir la Porte des Enfers. Elle réussit à le piéger in extremis dans le corps de Nick, et va s'évertuer tout au long de la saison 3 à libérer son petit ami du Mal tout en se débarrassant du Seigneur des Ténèbres... Mais en Enfer, ses opposants sont nombreux, peu enclins à laisser le Trône à une semi-mortelle, et surtout à une jeune fille. Dès le premier épisode, elle fait face à un coup d'état mené par un jeune Prince des Enfers, Caliban, qui clame sa légitimité pour le Trône. Sabrina, héritière par le sang, décide alors de faire alliance avec Lilith en la nommant régente pour apaiser les tensions. En faisant cela, elle choisit la voie de l'union et de la sororité face à l'adversité et au règne par la violence. 

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    De leur côté, Prudence (Tati Gabrielle) et Ambrose (Chance Perdomo), sortes d'Hansel et Gretel modernes, traquent Faustus Blackwood sans relâche, celui-ci ayant fui à la fin de la saison 2. Mais ils doivent vite se rendre à l'évidence: sa connaissance suprême de la magie noire les empêche d'anticiper ses coups et le sorcier leur échappe systématiquement. Prudence soumet alors à Ambrose l'idée d'utiliser le seul type de magie qu'il ne maîtrise pas : le vaudou, ou plutôt la magie haïtienne... En effet, Blackwood incarne le versant conservateur de la sorcellerie, majoritairement blanche et longtemps dirigée par une lignée exclusivement masculine. Il est tout a fait légitime que Prudence et Ambrose, dont les interprètes sont tous deux afrodescendants, aient l'idée d'avoir recours à une magie encore plus ancestrale et ignorée par l'Académie. Un moyen pour la série de refléter en filigrane le manque de représentation de l'héritage afro-américain dans les institutions américaines.

    Matriarcat

    Dès les premières minutes de la saison 3, le stéréotype de l'héroïne pleurant son grand amour perdu est pris à revers. Alors qu'Hilda s'imagine que Sabrina reste de longues heures à sangloter devant les Portes de l'Enfer qui retiennent Nick prisonnier, celle-ci s'acharne en réalité à essayer tous les sorts possibles pour les ouvrire, encore et encore, sous le regard compatissant d'Harvey... Une fois de plus, Sabrina ne compte que sur elle et défie l'autorité suprême pour accomplir ce qui lui paraît juste, ne supportant pas que Nick souffre pour lPendant ce temps, Zelda reprend les rênes de l'Acamédie en tant que Directrix et Grande prêtresse après la disparition du Père Blackwood. Alors qu'il faut désormais tout rebatir, une question se pose : maintenant que Lucifer est déchu du Trône des Enfers, qui doit-on désormais vénérer ? Hilda suggère alors de prier Lilith, l'ancienne Madame Satan désormais en charge du Royaume des Ténèbres. Avec les élèves de l'Académie, elles reprennent alors la prière catholique du "je vous salue Marie" en inventant une version satanique... un petit croche-pied non négligeable au catholicisme qui a longtemps bafoué la place des femmes.

    Ces thématiques fortes, habilement glissées dans une série à la fois pop et fantastique qui touchent un jeune public, inscrivent son héroïne dans la lignée des séries au caractère engagé comme Buffy. En pleine mouvance actuelle de revalorisation de la figure de la sorcière dans les luttes féministes, gageons que Sabrina saura marquer toute une nouvelle génération au même titre que son aînée.

    Retrouvez la saison 3 des Nouvelles Aventures de Sabrina sur Netflix :

     

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