Mon compte
    Doctor Who : comment la saison 12 a bouleversé la mythologie de la série
    Maximilien Pierrette
    Journaliste cinéma - Tombé dans le cinéma quand il était petit, et devenu accro aux séries, fait ses propres cascades et navigue entre époques et genres, de la SF à la comédie (musicale ou non) en passant par le fantastique et l’animation. Il décortique aussi l’actu geek et héroïque dans FanZone.

    Disponible sur la plateforme France.tv, la saison 12 de "Doctor Who" vient de s'achever en Grande-Bretagne avec un énorme twist, qui chamboule la mythologie de la série culte. Retour sur ces révélations et ce qu'elles peuvent apporter.

    BBC (British Broadcasting Corporation)

    ATTENTION - L'article ci-dessous contient des spoilers sur la saison 12 de "Doctor Who", disponible sur la plateforme France.tv depuis le 27 février et qui vient de s'achever en Grande-Bretagne. Veuillez donc passer votre chemin si vous n'êtes pas à jour et que vous souhaitez ne rien savoir avant. Pour les autres, rendez-vous après la bande-annonce.

    Le dimanche 16 juillet 2017, l'Histoire de Doctor Who prend un nouveau tournant lorsque la BBC révèle le nom et le visage du prochain interprète du héros, qui s'illustre sur petit écran depuis 1963 (avec une pause entre 1989 et 2005). Ou plutôt de sa prochaine interprète, car Jodie Whittaker devient la première femme à s'emparer des commandes du TARDIS, vaisseau spatial qui, de l'extérieur, ressemble à une cabine de police, et permet au personnage de se déplacer dans l'espace et le temps avec ses compagnons. L'arrivée de la comédienne s'accompagne de celle du nouveau showrunner Chris Chibnall (qui avait travaillé avec elle sur Broadchurch), pour faire de la saison 11 un semi-reboot, avec de nouveaux acteurs et protagonistes.

    Lancée le 7 octobre 2018 en Grande-Bretagne, la saison en question déçoit pourtant. Malgré une Jodie Whittaker impeccable et immédiatement attachante en Docteur, sans que le changement de sexe du personnage ne soit prétexte à des allusions lourdes, les épisodes se révèlent trop sages. Comme si le nouveau showrunner avait peur de trop secouer le jouet qui lui avait été confié, et semblait d'abord vouloir se familiariser avec la mythologie de Doctor Who, quitte à tomber dans la facilité comme dans le peu passionnant New Year Special, "Resolution", qui marquait le retour trop attendu des Daleks. Mais ça n'était, en fait, que partie remise. Et les choses ont commencé à vraiment bouger le 1er janvier 2020 avec "Spyfall" et son mélange de science-fiction et d'espionnage dont la première partie s'est achevée avec un twist.

    Alors que l'humanité est, comme souvent, en danger, l'héroïne part à la recherche de celui ou celle qui tire les ficelles. "Le maître espion", lui dit l'un de ses alliés. Ou "Spy master" en VO. Une réplique tout sauf anodine qui n'aura pas mis longtemps à intriguer les fans, et quelques minutes plus tard, la sentence tombe : oui, le Maître (The Master) est de retour. La némésis du Docteur, née sur la même planète, prend cette fois-ci les traits de l'acteur indo-britannique Sacha Dhawan, après avoir été une femme incarnée par Michelle Gomez, à l'époque de Peter Capaldi. Vu auparavant dans Iron Fist, le comédien parvient à personnifier la folie et la dangerosité du méchant sans donner l'impression de copier ses prédécesseurs, mais ne nous empêche alors pas de redouter la redite.

    Arrive alors la fin de la deuxième partie de "Spyfall", lorsque le Docteur découvre que les habitants de sa planète Gallifrey ont tous été massacrés : "Lorsque j'ai dit que quelqu'un l'avait fait, je voulais bien sûr dire moi", lui explique son ennemi dans un message holographique. "Il fallait que je les fasse payer pour ce que j'ai découvert. Ils nous ont menti. Les pères fondateurs de Gallifrey. Tout ce que l'on nous a raconté était un mensonge. Nous ne sommes pas qui nous pensons être. Toute l'existence de notre espèce a été bâtie sur le mensonge de l'enfant éternel. C'est profondément enfoui dans notre mémoire, dans notre identité. Je t'en dirais bien plus... mais pourquoi rendre les choses si faciles."

    En un monologue particulièrement réussi, assorti de deux flashes énigmatiques, la série intrigue et donne le ton d'une saison où l'on nous promet des révélations sur le passé du héros, alors que le nom "Enfant éternel", déjà mentionné dans l'épisode 2 de la saison 11, refait surface et semble se présenter comme l'équivalent du "Bad Wolf" de Christopher Eccleston (prophétie récurrente qui a mené vers la transformation de sa compagne Rose Tyler dans le final dans la saison 1). Sauf qu'il faudra attendre un peu pour être fixés, car Doctor Who délaisse ensuite l'aspect feuilletonnant du récit pour des histoires plus classiques. Joliment mises en scène, elles laissent entendre que le show a bel et bien trouvé son nouveau ton, permettant à Jodie Whittaker de briller avec une partition alternant la légéreté et la gravité de belle manière.

    Le troisième épisode de cette saison 12 se veut même édifiant, en s'achevant sur un message pour la sauvegarde de notre planète, mais il faut avouer que l'absence de fil rouge rend l'ensemble un peu moins passionnant, et fait craindre que les promesses du season premiere n'aient été qu'un effet d'annonce. Il n'en est heureusement rien, et l'épisode 5 nous prouve que Chris Chibnall et son équipe ont bien décidé de s'emparer de la mythologie de Doctor Who : d'abord en orchestrant le retour du Capitaine Jack Harkness (John Barrowman), ancien agent du temps et héros du spin-off Torchwood, qui alerte sur le danger que représente le "Cyberman solitaire" ; puis en faisant apparaître un personnage joué par Jo Martin, qui se révèle être... le Docteur. Mais pas une incarnation passée, puisque Jodie Whittaker ne se souvient pas d'elle, ni une version future, car elle n'a aucun souvenir de l'actuelle. Là encore, ça n'est qu'une graine plantée en vue de ce qui va suivre.

    BBC (British Broadcasting Corporation)

    Si une nouvelle vision liée au désormais célèbre "Enfant éternel" apparaît dans le 7, c'est bien à partir de l'épisode 8 que les choses s'emballent. Transportée en 1816, le Docteur y croise une certaine Mary Shelley, qui s'avèrera inspirée par la créature qui la tourmente : un Cyberman. Mais pas la version classique de celui qui compte parmi les plus célèbres ennemis du héros, humanoïdes transformées en machines et dont seuls quelques organes subsistent de leur passé. Celui qui nous découvrons ici semble incomplet, comme en pleine transition, et cette alliance plus prononcée de chair humaine et de robotique lui donne un aspect plus monstrueux tout en illustrant la manière dont Chris Chibnall s'empare de l'héritage de Doctor Who, en modifiant certains éléments traditionnels. Plus réussi que sa refonte des Daleks, ce Cyberman solitaire est celui qui nous mène vers le final et ses révélations, non sans un passage par une Terre du futur dans laquelle la race humaine est au bord de l'extinction.

    Alors qu'un flashback s'intercale régulièrement dans le récit de l'épisode 9 sans que nous ne sachions vraiment à quoi il renvoie, les réponses arrivent enfin dans le 10, après le retour du Maître et un passage à travers un portal qui permet de rallier les ruines de Gallifrey. En marge d'une histoire, classique, de fin du monde, le Docteur est emmené dans la Matrice, répertoire de tout le savoir des Seigneurs du Temps dont certains souvenirs ont été effacés, et son ennemi lui apprend la terrible vérité : elle est le mystérieux "Enfant éternel" ! Issu d'une autre galaxie, ce dernier a été trouvé par une habitante de Gallifrey, Tecteun (Seylan Baxter). Laquelle, à la suite d'un accident, a découvert le pouvoir de régénération de la fillette, c'est-à-dire sa capacité à changer d'apparence et ainsi tromper la mort.

    Après de nombreuses recherches et expériences, Tecteun est parvenue à isoler le gène responsable de ladite régénération et à le marier avec l'ADN des habitants de la planète, en limitant le nombre de renaissances à douze par personne, pour donner naissance à ceux qui ont alors choisi de se faire appeler Seigneur du Temps. Pendant que l'enfant était prise en charge par une organisation secrète, la Division, qui l'envoyait sur diverses missions et effaçait sa mémoire à sa guise. Comme dans le flashback étrange de l'épisode précédent, qui nous montrait en réalité l'une des autres vies. Car c'est là l'un des twists de ce final : le Docteur avec lequel nous avons fait connaissance en 1963, sous les traits de William Hartnell, n'est que l'une des multiples versions du personnage, dont nous ignorons le nombre, amnésie forcée oblige.

    DOCTOR WOW

    Et c'est un vrai bouleversement dans l'Histoire de la série. Non content de nous apprendre que le Docteur n'est pas le dernier Seigneur du Temps vivant mais le premier, celui par qui tout est arrivé, ou que les mythes entourant son existence ont été inventés de toutes pièces pour cacher une réalité moins reluisante, ce rebondissement nous fait comprendre que l'ADN du héros se trouve dans le Maître, ce qui renforce et complexifie la relation d'amour-haine (avec une nette domination de la haine) qui les unit. Et Ruth (Jo Martin) est donc l'une de ces versions antérieures, qui ouvrent une quantité quasi-infinie de portes dans lesquelles la série pourra s'engouffrer à l'avenir. Et sans trahir l'essence de Doctor Who.

    Certes, le fait que William Hartnell ne soit plus vraiment le premier Docteur peut chagriner. Mais on peut le voir comme la première incarnation du personnage lorsqu'il a choisi de tourner le dos aux siens et à leurs pratiques (qui dit qu'il n'a pas été méchant dans une autre vie ?). Au-delà de ça et de quelques explications qui seront nécessaires dans les prochaines saisons, pour éclaircir des éléments qui pourraient se muer en incohérences (sur le TARDIS de Ruth par exemple), ce rebondissement volontairement choquant est une réussite et incite à l'optimisme, alors que la série pouvait donner l'impression de tourner en rond ces derniers temps, ce que les épisodes plus classiques de cette saison ont d'ailleurs confirmé.

    BBC (British Broadcasting Corporation)

    Dès le prochain Christmas Special ("Revolution of the Daleks"), Doctor Who aura l'occasion de lever le voile sur quelques-uns des mystères nés à la suite de ce season finale. Combien le Docteur a-t-il eu de vies ? Qu'est-il advenu de la Division ? Que contiennent ces souvenirs inaccessibles ? Le Maître est-il vraiment mort ? A priori, la réponse à cette dernière question est non, dans la mesure où nous ne le voyons pas mourir dans l'explosion destinée à faire mourir la race de Cybermen qu'il a crée avec l'ADN des Seigneurs du Temps. Mais pour le reste, tout semble réuni pour que les prochains épisodes soient riches en révélations.

    En attendant d'être fixés, ce revirement à même de réoxygéner Doctor Who ne sort pas de nulle part et colle avec certains éléments entrevus auparavant. Malgré l'explication donnée à l'époque, sur fond de nouveau cycle, le fait que le Docteur ait dépassé son quota de douze régénérations nous avait déjà mis la puce à l'oreille. Et surtout, ce final vient confirmer une théorie datant de 1976 et un épisode porté par Tom Baker, "Le Cerveau de Morbius", dans lequel le héros était mis face à une succession de visages : les précédentes incarnations du personnage, et des inconnus, qui ont fait naître l'hypothèse de plusieurs vies antérieures chez les fans. Lesquels ont dû être contents de voir des images dudit épisode dans cet extrait où Jodie Whittaker vient à bout de la Matrice.

    Un extrait qui illustre d'ailleurs bien l'effet du twist sur la série et le personnage. À l'image du Docteur, qui parvient à renouveler son estime de soi grâce à ces nouvelles connaissances (tout en nous apprenant qu'il a eu bien des incarnations féminines et/ou de couleur par le passé, comme pour convaincre les plus réfractaires au choix de Jodie Whittaker), Doctor Who devrait ressortir grandie : "Tu penses m'avoir brisée ? Il va falloir faire plus fort que cela", dit la comédienne dans l'un de ses monologues héroïques à l'adresse de sa némésis. "Tu m'as donné le don de moi-même. Tu penses que cela aurait pu me détruire ? Tu penses que cela me rend moins importante ? Cela me permet de l'être davantage. Je contiens des multitudes, plus que je ne le pensais ou ne le savais. Tu veux que j'en aie peur car tu as peur de tout, mais je te suis bien supérieure."

    Un discours puissant, qui fait autant office de conclusion que d'ouverture vers l'avenir. Une note d'intention pour une série que l'on imagine régénérée, et qui fera son retour à Noël. Toujours avec Jodie Whittaker dans le rôle principal, et un Docteur qui devra s'échapper de la prison spatiale dans laquelle on l'enferme, sans autre explication que le qualifier de "fugitif", dans les dernières secondes de l'univers. Une fois que ce sera fait, le héros sera de nouveau confronté aux Daleks, en espérant que leur traitement sera meilleur que dans "Resolution". Et si la série continue sur la lancée de cette fin de saison 12 par la suite, il y aura vraiment de quoi se réjouir de la façon dont Chris Chibnall s'est, enfin, approprié la mythologie pour la chambouler de la sorte.

    FBwhatsapp facebook Tweet
    Sur le même sujet
    Commentaires
    Back to Top