ATTENTION - L'article ci-dessous contient des spoilers, dans la mesure où il aborde certains des éléments du récit du premier épisode de la saison 11 de "Doctor Who". Veuillez donc passer votre chemin si vous ne l'avez pas vu, pour mieux revenir ensuite.
Le 16 juillet 2017, Doctor Who marque sa propre Histoire et celle de la SF par la même occasion, en choisissant Jodie Whittaker pour être la première femme à incarner le héros de la série anglaise. Quinze mois plus tard, et après avoir officiellement pris le relais de Peter Capaldi dans le dernier Christmas Special en date, l'actrice a fait ses grands débuts sur la BBC le dimanche 7 octobre 2018, au même titre que Chris Chibnall, promu showrunner après le départ de Steven Moffat. Et force est de constater que les premiers pas du duo, qui avait précédemment collaboré sur Broadchurch, sont plus qu'encourageants.
QUOI DE NEUF DOCTEUR ?
Y a-t-il eu un season premiere de Doctor Who plus attendu que celui-ci au cours des dernières années ? Assurément non. Si les changements d'interprètes sont toujours source d'excitation et de curiosité, cette nouvelle mouture semblait capable de faire revenir les déçus des dernières saisons et d'attirer un nouveau public, avec cette promesse de renouveau symbolisée par la première femme aux commandes du TARDIS et le statut de semi-reboot avec lequel l'épisode se présentait. Et cela s'est vérifié au niveau des chiffres puisque le nouveau Docteur a permis au show de signer son meilleur départ depuis plus de dix ans avec 8,2 millions de téléspectateurs en direct. Soit plus que pour les premiers pas de Matt Smith (8 millions en avril 2010) et Peter Capaldi (6,8 millions en septembre 2015).
Jodie Whittaker fait cependant moins bien que David Tennant et ses 9,4 millions en décembre 2005, même si ce dernier avait pour lui d'avoir débuté dans un épisode de Noël, plus événementiel et qui attire plus de public en règle générale. Nous pouvons quand même parler de décollage réussi et il va maintenant falloir voir comment la saison 11 se maintient. Mais il y a de quoi être optimistes au vu des 63 minutes que France 4 diffusera dans l'Hexagone le jeudi 11 octobre. Il est d'ailleurs amusant de voir que la 13ème incarnation du Docteur se situe entre la 10ème et la 11ème sur le plan des audiences, car il en va de même dans l'approche du personnage.
Dès sa première et fracassante apparition, à travers le toit d'un train après avoir chuté de son TARDIS dans les dernières secondes du Christmas Special où elle succédait à Peter Capaldi, Jodie Whittaker impose son style, qui mêle l'énergie de David Tennant et Matt Smith (sans le côté "chien fou" de ce dernier, quelque peu déstabilisant au tout début), avec un brin de la sagesse de son prédécesseur. Et un petit truc en plus, difficile à décrire, dans la gestuelle et la détermination, qui permet à la comédienne de se démarquer de ses prédécesseurs, en proposant un changement dans la continuité. On soulignera et applaudira au passage la façon avec laquelle le changement de sexe est traité.
Il y avait pourtant beaucoup à craindre de cet aspect, et notamment les blagues et quiproquos que l'on retrouve dans toute comédie tournant autour du concept de "gender swap" ("échange de sexe" en français), comme le récent L'un dans l'autre. Le sujet n'est ici abordé que dans une seule scène lorsque, étonné qu'on l'appelle "Madame", le héros en demande la raison et se voit répondre que c'est parce qu'elle est une femme : "C'est vrai ?", réagit le Seigneur du Temps avec un mélange de surprise et d'excitation. "Est-ce que ça me va bien ? Oh oui, je me rappelle ! Désolé, il y a une demi-heure, j'étais un Écossais aux cheveux blancs." Une façon de nous rappeler que si l'apparence change, le Docteur reste le Docteur. Quand bien même il ne se souvient pas de son nom.
Il y a une demi-heure, j'étais un Écossais aux cheveux blancs
Car c'est l'un des enjeux de ce season premiere, et même le plus gros : voir comment le héros multi-centenaire va reprendre ses marques et se réapproprier ce statut qui est le sien depuis 55 ans sur la BBC. Comme toujours, le personnage est déboussolé par sa régénération, dont il nous explique un peu mieux le concept ici : "Tout mon corps a changé. Chaque cellule de mon corps a brûlé, et certaines le font encore, se réorganisant, se régénérant (...) Il y a ce moment où vous êtes certain que vous allez mourir, et puis vous renaissez. C'est terrifiant. Actuellement je suis étrangère à moi-même. Il y a des échos de qui j'étais et comme un rappel de qui je suis, et je dois garder mon calme et me fier à ces nouveaux instincts, me façonner en fonction d'eux."
Mais là où Peter Capaldi était victime de crises fréquentes, ou que Matt Smith cherchait ses goûts culinaires, la recherche d'elle-même par Jodie Whittaker revêt des atours plus symboliques. Car il lui faut en effet retrouver son nom (ce qui coïncidera avec son dernier face-à-face avec le monstre de la semaine), se construire un nouveau tournevis sonique (qui devient, pour l'occasion, un "couteau-suisse sonique, mais sans le couteau. Seuls les idiots emportent des couteaux"), trouver sa tenue et localiser son TARDIS, perdu dans l'espace. Autant d'étapes par lesquelles passe l'épisode... à l'exception de la dernière, laissée en suspens, au propre comme au figuré, pour le moment.
LE CHANGEMENT (DANS LA CONTINUITÉ), C'EST MAINTENANT
Une progression méthodique pour un épisode au sein duquel il est bien évidemment possible de dresser un parallèle avec la situation de Chris Chibnall, scénariste et nouveau showrunner qui doit s'approprier le show, en tenant compte, lui aussi, des échos du passé tout en apportant de nouvelles choses. Il n'est d'ailleurs pas étonnant que le méchant, extra-terrestre débarqué sur Terre pour chasser tel un Predator mais appelé "Tim Shaw" à la suite d'une mauvaise prononciation, soit au coeur d'un rite de passage vis-à-vis de son peuple. Et si le monstre échoue, le successeur de Moffat non. La partie science-fiction est, certes, des plus classiques, mais son intérêt semble ailleurs : dans les personnages. Sans surprise pour qui aura vu Broadchurch, son dernier bébé en date, où l'intrigue policière servait de catalyseur des relations entre les habitants du village anglais.
Délaissant (momentanément ?) Londres pour Sheffield, ce season premiere se veut en effet plus intimiste. Avant de plonger dans le coeur de l'action, il convient en effet de montrer celui des protagonistes. Le Docteur bien sûr, mais également ses compagnons, au nombre de trois. Quatre même, dans un premier temps, puisque Grace (Sharon D. Clarke) mourra des suites de l'affrontement avec Tim Shaw, laissant derrière elle sont petit-fils Ryan (Tosin Cole) et son mari Graham (Bradley Walsh), auxquels se joint la jeune policière Yasmin (Mandip Gill). Dans la lignée de la saison 10, où le Docteur entraînait dans ses aventures une femme noire et lesbienne (Bill Potts, inacarnée par Pearl Mackie), la 11 joue la carte de la diversité mais de façon plus poussée.
Nous avons deux compagnons de couleur, dont un souffrant de dyspraxie (maladresse pathologique qui l'empêche notamment de réussir à faire du vélo), et un troisième plus âgé, en rémission d'un cancer. Autant de protagonistes que nous aurions eu du mal à imaginer à ce poste, en se référant à la majorité des saisons précédentes. Mais ça, c'était avant, et Doctor Who est bel et bien entrée dans une nouvelle ère, ce que la toute première réplique souligne : "Je veux vous parler de la femme la plus merveilleuse que j'aie connue", explique Ryan dans un vlog (hommage à "L.I.N.D.A.", épisode 10 de la saison 2, où des gens se réunissaient en groupe pour parler du Docteur et enquêter sur lui ?). S'il s'avérera que le jeune homme parle de sa grand-mère, le sous-texte n'en est pas moins évident.
Cette nouvelle mouture de Doctor Who promet donc de nous faire suivre cette femme formidable, davantage optimiste et lumineuse que son précédesseur, contrepoint parfait d'une ambiance plus sombre. Et plus belle en même temps. Car si les failles des personnages et la mort se révèlent très présentes, jamais la série n'a paru aussi belle et filmée avec un vrai souci esthétique, lens flares à la clé. Une approche qui pourra déplaire à ceux qui aimaient le côté kitsch du show, mais témoigne d'une volonté de sa part d'être plus réaliste et humain, comme l'était Broadchurch par rapport au thriller. Reste maintenant à savoir ce que la suite nous réserve.
Selon Chris Chibnall, il n'y aura que des épisodes "standalones", qui fonctionnent de façon autonome, et pas de dyptiques : "Ce que je veux c'est que les gens ressentent que nous avons tout l'éventail et la variété de Doctor Who cette année", a-t-il déclaré à Digital Spy. "De telle sorte que si vous n'avez jamais regardé [la série] auparavant, vous allez en tomber amoureux, et que si vous l'avez déjà vue, vous allez retrouver ces choses que vous aimez tout au long de ces dix épisodes." Mais y aura-t-il un fil rouge, autre que la façon dont le Docteur et ses compagnons vont apprendre à se connaître ? Vu comme le méchant disparaît sans mourir, on peut imaginer qu'il sera amené à revenir, de même que le cliffhanger qui nous montre les personnages flottant dans l'espace laisse entendre que le récit suivant reprendra exactement là où celui-ci nous a laissés. En attendant d'en savoir plus, ce sont les noms de guests qui ont été révélés dans un teaser.
Non content de rendre un joli hommage à David Bowie et L'Homme qui venait d'ailleurs ("The Man Who Fell to Earth" en VO), "The Woman Who Fell to Earth", que l'on pourrait traduire par "La Femme qui est tombée sur Terre", permet à Jodie Whittaker de réussir des débuts fracassants, si bien que nous sommes rapidement conquis et avons immédiatement l'impression qu'elle EST le Docteur. Premiers pas réussis également pour Chris Chibnall qui, bien aidé par son réalisateur Jamie Childs, signe une entrée en matière classique avec une vraie volonté de faire bouger les choses, tant sur le fond que la forme, avec un style et une noirceur qui rappellent Class, étonnant spin-off lancé en 2016 et annulé au terme d'une toute petite saison.
Et ce quitte à se passer... de générique. Hormis les quelques notes iconiques qui accompagnent l'arrivée du Docteur, cet épisode surprend par l'absence des traditionnels crédits de début. Parce que le scénariste et showrunner voulait d'abord prendre le temps de s'approprier son nouveau jouet avant de revenir aux fondamentaux ? Au vu du récit, de sa progression et de son sous-texte, cela se tient et il serait logique de découvrir la nouvelle version de l'ouverture, composée par Segun Akinola, qui succède à Murray Gold, dès la semaine prochaine.
Alors que ce season premiere sera diffusé sur France 4 le jeudi 11 octobre à 22h25, dire qu'il nous tarde de retrouver Jodie Whittaker à bord du TARDIS (et surtout qu'elle retrouve le TARDIS) relève de l'euphémisme, tant ses premiers pas dans la peau du personnage culte se révèlent enthousiasmants. Il faut cependant espérer que, sans perdre de vue l'aspect humain, la saison 11 saura élever son niveau de jeu pour proposer des intrigues moins classiques et renouer avec le sens de l'aventure inhérent au show. Si l'on se fie au teaser du prochain épisode, "The Ghost Monument" ("Le Monument fantôme"), il y a de très fortes chances pour que ce soit le cas. D'ici-là, qu'on se le dise : il y a un nouveau héros dans l'espace-temps. Et c'est une héroïne !
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