"Toi et Moi" : il s'agit bien sûr d'Ariane et de sa soeur Lena, tellement différentes et pourtant si proches, ne serait-ce que par la complexité de leurs vies sentimentales. Ariane est polychrome, juchée sur des hauts talons qui lui donnent la démarche d'une girafe, avec une coiffure évolutive mais toujours assez frisottée. Elle écrit des scénarios de romans-photo, où elle invente les histoires qu'elle aimerait vivre. Car côté sentimental, comme elle le dit, son coeur "est une porte de chiottes, avec pleins de noms de mecs écrits dessus". Elle sort depuis deux ans avec Farid, golden boy pas très franc du collier ; mais elle n'est pas insensible à l'intérêt que lui porte Pablo, le beau maçon catalan qui ravale la façade de son immeuble.
Lena est pastel, avec une prédominence de couleurs froides assorties à sa coupe sage, et on ne sait si ce sont ses talons plats ou son violoncelle qui lui donnent une démarche si pesante. Elle joue dans un orchestre, vit avec François (Eric Berger, Tanguy), prof dans un quartier difficile qui lui propose enfin de faire un enfant, alors qu'elle vient juste de rencontrer Mark, violoniste soliste, qui la presse de devenir concertiste et dont elle tombe amoureuse.
"Toi et Moi", c'est aussi le nom du journal pour lequel écrit Ariane. Car comme dans "La Vie secrète de Walter Mitty" ou dans "Le Magnifique", le film est ponctué par des séquences de roman-photo très réussies où Ariane se met en scène avec ses proches, avec héritages providentiels et guérisons miraculeuses. Mais la vie est bien plus complexe qu'un roman-photo, et lentement l'histoire évolue vers quelque chose de plus tristement réaliste, abandonnant progressivement Ariane la fofolle pour Lena la mélancolique.
Julie Depardieu, à l'affiche ces jours-ci dans quatre films, réussit à rendre plutôt crédible ce personnage de rêveuse rêvée, même si elle est parfois sur le fil de la caricature, rejointe en cela par Chantal Lauby dans le rôle de la tante anxieuse. Marion Cotillard propose un jeu d'une grande subtilité pour donner vie à ce personnage en proie au doute et à l'insatisfaction. Quand elle visite à Londres une exposition de photos de couples en train de faire l'amour, premier rendez-vous avec Mark, ou quand elle est témoin des petits renoncements de sa soeur, un froncement de sourcil, une ombre sur son visage suffisent à exprimer son incrédulité et sa désapprobation. Et c'est bien elle qui entraîne le film vers ce versant plus noir de la comédie jusque là bariolée.
Le genre en vogue dans le cinéma français, c'est la comédie ; la contrepartie est qu'il est difficile de sortir du lot, surtout pour un premier ou un second film, comme c'est le cas ici. Sans être un chef d'oeuvre, "Toi et Moi" y parvient par cette variation de tonalité et par une distribution assortie à la polyphonie de l'histoire.
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