J’avais 20 ans quand je l’ai vu dès sa sortie. Le seul souvenir qui me reste après plus de 30 ans, c’est la bande originale que j’écoutais en boucle dans ma voiture, une cassette usée jusqu’à la corde dans mon auto-radio. Puis plus rien. L’oubli hormis un souvenir diffus et deux noms : « All That Jazz » et Roy Scheider. Sur TMC, je me décide à le revoir. J’avais bien quelques séquences dans la tête mais c'était vraiment diffus ; par contre, ma mémoire ne me fit aucun défaut pour les morceaux musicaux même si je n’arrivais pas toujours à les anticiper. Bref, je redécouvre le film avec ma cinquantaine bien sonnée ! Et là, le choc : excellent ! A commencer par le montage, par sa structure narrative judicieuse, subtile, énergique mais en aucun cas labyrinthique. Je peux comprendre que cela peut dérouter. Et pourtant, en achetant de suite après le DVD et le revoyant un mois après, le montage me paraît des plus fluides. L’interprétation de Roy Scheider, ambassadeur spirituel de Bob Fosse le temps du film, est dans la peau de Joe Gideon ; tout énergie, une énergie sans limite, une énergie vouée à son art, à ses arts puisqu’il n’est pas que chorégraphe, une énergie sacerdotale ! Une énergie aussi tronquée, artificielle car dopée aux amphétamines, au tabac, à l’alcool ; carburants apparemment essentiels pour rester debout et mener une vie à plus de cent à l’heure ; pour jongler entre l’art et les femmes ; pour alimenter son imagination ; pour se relancer en cas de doute ; pour pousser le moteur au-delà des limites qu’il refuse de s’imposer. Roy Scheider est terriblement crédible dans ce rôle de « Bob Fosse », une ressemblance physique au plus près, loin de sa double interprétation « Des dents de la mer »et autres thrillers de bonnes factures. On le sent épuisé, laminé, l’énergie en lambeaux mais debout et optimiste. Et dans le déni surtout ! Le film que Joe Gideon visionne en salle de montage parle d’un artiste du stand-up. Celui-ci évoque la mort en cinq étapes : " la colère, le refus, le marchandage, la dépression et l’acceptation". Gideon sera confronté à ces cinq étapes. C’est l’objet de son entretien avec l’Ange interprétée par Jessica Lange, vaporeuse, aérienne, légère mais sans concession. Gideon finira par céder. L’Ange l’écoute « narrer défiler » sa vie et ses derniers instants. On suit Gideon grâce à un montage subtil, tantôt avec l’Ange, tantôt dans son présent-passé, tantôt dans son comas. Enfin, la chorégraphie avec cette bande son jazz emportée. Survoltée et audacieusement érotisante présentée à des producteurs gênés, en sueur, un brin conquis. Et il y a ces tableaux qui illustrent les vices de sa vie, si tant est ce sont des vices ; son opération à coeur ouvert avec des danseuses en combinaison chair imprimée de veines et d’artères. Mini ballets souvent interprétées par sa femme, sa fille et sa maîtresse et les femmes qu’il a aimé. Tableaux qui se succèdent comme un reproche, comme un constat. Bob Fosse met en scène, en musique, en danse, la transcription de ses visions suite à son infarctus après son film « Lenny » cinq ans auparavant. Il va jusqu’à y placer son ex-femme, Leland Palmer (Audrey) et sa maîtresse du moment, Ann Reinking (Kate) dans les bras de Roy Scheider ! Une comédie musicale métaphysique, onirique, où la mort, sa propre mort est mise en scène, celle en laquelle il a cru, celle qui l’espérera voir... malheureusement sept ans après ! Une comédie musicale qui par son sujet, est à sa manière originale voire audacieuse. Un sujet qui n’a rien de morbide, rien de joyeux pour autant. C’est une comédie musicale qui permet d’apprivoiser, d’accepter sa mort par palier : "la colère, le refus, le marchandage, la dépression et l’acceptation". Et l’acceptation sera traduit par un ballet final où Gideon chantera, dansera un « bye bye » émouvant ; un bye bye à ses vices, à sa femme, à sa fille Michelle, (merveilleuse Erzsebet Foldi), à sa maîtresse et aux femmes qui l’ont aimé. Un final qui égratignera au passage l’hypocrisie du show business. « All That Jazz » est à voir en V.O évidemment. Allez-y franchement : « Que le spectacle commence » pour vous si vous ne l’avez pas encore découvert…